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Voulant trouver mon cœur, j’égare mon désir,
J’adore une beauté qui m’est toute contraire.

Je m’empêtre aux filets dont je me veux garder,
Et voyant en mon mal ce qui me peut aider,
Las ! je l’approuve assez, mais je ne le puis faire[1].


XXVIII


Ô beaux yeux inhumains, pourquoy m’embrazés-vous,
Allumant d’un regard tant d’ardeurs en mon ame ?
Helas ! je brûle assez sans accroistre ma flame :
Pour Dieu faites-moy grace et me soyez plus doux !

Brûlez vos ennemis, donnez-leur mille coups,
Et les gardez de voir les beautez de ma dame :
Mais moy qui vous adore et qui seul vous reclame,
Beaux yeux d’un si grand heur ne me soyez jaloux.

N’estincelez pas tant, lors que je la regarde,
Afin que vostre effort cet heur ne me retarde :
Baissés vos chauds regars, flambez plus doucement.

Puis, quand verrez mon ame en ces douceurs ravie,
Tournez comme un éclair lancé soudainement,
Je ne sentiray pas que vous m’ostiez la vie.


XXIX


Qui fait plainte d’Amour en doit estre ignorant,
Et n’a de sa nature aucune connoissance :
De moy pour quelque orage ou malheur qui m’offanse,
Jamais contre ce Dieu je ne vais murmurant.

Se faut-il estonner si Phœbus en courant,
Comme il est pres ou loin, des saisons fait muance ?
Si Neptune en hyver est plein de violance ?
Si froide est la gelée, et le feu devorant ?

L’homme sage et constant qui en connoist la cause,
Ne s’ébahit de voir l’effet en chaque chose,
Et laisse tout passer d’un esprit arresté.

Or la cause d’Amour n’est que peine et martire :
Si donc cent mille ennuis en nos cœurs il retire,
S’en faut-il estonner ? c’est sa proprieté.


CHANSON


Pour vous aimer je veux mal à mon cœur,
Je hay mes yeux, mon esprit et ma vie :

  1. Imité d’un sonnet de Pétrarque qui débute ainsi :

    Amor mi sprona in un tempo e affrena.