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elle avait alors une vingtaine d’années. Elle folâtrait autour de Catherine de Médicis, parmi cet essaim de gracieuses personnes que la vieille reine entretenait à bon escient et qu’elle nommait ses filles d’honneur, pour qu’elles eussent un titre. On la regardait comme la plus parfaite beauté de la cour ; pendant longtemps on ne crut pouvoir mieux louer une femme qu’en la comparant avec elle. Son abondante chevelure, qui lui faisait une couronne d’or, excitait l’admiration générale. Le duc d’Anjou ne put la voir sans la désirer, ne put la désirer sans chercher à l’obtenir. Pour lui plaire, il réclama les bons offices de Desportes. Le chantre voluptueux prit ausitôt sa plume et rima sonnet sur sonnet. Une partie de ceux qui forment les Amours de Diane furent alors composés. Deux de ces opuscules ravirent surtout le prince. L’un commence par le vers suivant :

Beaux nœuds crêpés et blonds, nonchalamment épars[1]

L’autre par ces mots :

Cheveux, présent fatal de ma douce ennemie.

Ce ne sont pas assurément les meilleurs, et l’enthousiasme du duc ne prouve point en faveur de son goût. On dit qu’il lut mainte fois, qu’il ne pouvait se lasser d’entendre le premier. L’accueil fait à ces deux morceaux contribua peut-être beaucoup au ravissement du prince. Quelques sonnets donnent lieu de supposer que la belle fit une certaine résistance. Desportes ne négligea rien pour lever ses scrupules et lui prêcha en beaux vers une morale très-facile à pratiquer :

Quand du doux fruit d’amour je me rends poursuivant,
Le seul digne loyer de ma persévérance,
Vous pensez m’arrêter, m’opposant pour défense
Je ne sais quel honneur, qui est moins que le vent.

Moi, je mets, comme humain, le plaisir en avant
Et le doux paradis de cette jouissance,
Qui vous dût dégoûter de la feinte apparence
De ce songe d’honneur, qui vous va décevant.

Mais, parlons librement, et me dites, ma dame,
Sentez-vous de l’honneur quelque perfection,
Qui plaise au goût, au cœur, à l’esprit ou à l’âme ?

C’est une vieille erreur, qui aux femmes se trouve ;
Car leur honneur ne git qu’en vaine opinion,
Et le plaisir consiste en chose qui s’éprouve.

  1. Le sonnet tout entier est une traduction du Bembo.