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Ô grand Amour ! de puissance invincible,
Cruel et doux, gracieux et terrible,
Qui fais marcher en triomphe les rois,
Des jeunes cœurs le seigneur et le maistre,
Puis que pour tel je te veux reconnoistre,
Escoute, ô Dieu, ma priere et ma voix.

Si tous tes traits en mon cœur je retire,
Si sans crier je languis en martire,
Si j’ay lavé tes ailes de mes pleurs,
Si mes soupirs entretiennent ta flame,
Et si tu fais des cheveux de ma dame
Les forts liens qui retiennent les cœurs.

Chasse, ô grand Dieu ! cette crainte nouvelle,
Qui me poursuit, qui me serre et me gelle ;
Banny bien loin le triste desespoir,
Aux crins retors, à la couleur sanglante,
Qui de regars mon esprit espouvante,
Et qui me fait tant de peurs reçevoir.

Mon cœur en tremble, et mon ame estonnée
À la frayeur s’est toute abandonnée,
Tant cette nuict il m’a fait endurer !
Fay l’un des deux, ou luy donne la chasse
Loin de mon cœur, ou lui quitte la place :
Vous ne pouvez ensemble demeurer.


CHANSON


Douce liberté desirée,
Deesse, où t’es-tu retirée,
Me laissant en captivité ?
Helas ! de moy ne te detourne,
Retourne, ô Liberté ! retourne,
Retourne, ô douce Liberté !

Ton depart m’a trop fait connoistre
Le bon heur où je soulois estre,
Quand douce tu m’allois guidant,
Et que, sans languir davantage,
Je devois, si j’eusse esté sage,
Perdre la vie en te perdant.

Depuis que tu t’es éloignée,
Ma pauvre ame est accompagnée
De mille épineuses douleurs :
Un feu s’est espris en mes veines,
Et mes yeux changez en fontaines
Versent du sang au lieu de pleurs.

Un soin caché dans mon courage