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LES AMOURS D’HIPPOLYTE.

Mieux vaut doncq’ que je cedde avec ce reconfort
Que vos rares beautez excusent mon offance,
Et que mon haut desir eternise ma mort.

Car, si je meurs, madame, en vous faisant service,
Jamais plus grand honneur je ne puis acquerir :
Vous me recompensez en me faisant mourir,
Pourveu que ma douleur par mon trespas finisse.

Aussi je ne me plains que me soyez cruelle,
Mais, las ! je suis marry de ce qu’en me tuant,
Et payant de rigueur mon service fidelle,
Vostre honneur peu à peu se va diminuant.

Car, si tost qu’on sçaura la perte de ma vie,
Chacun, craignant son mal, loin de vous se tiendra
Et vous accusera, quand il se souviendra
Que vous m’aurez tué pour vous avoir servie.

Si donc ma passion n’esmeut vostre courage,
Si vous n’avez soucy de ma ferme amitié,
Au moins, en m’offensant, ne vous faites dommage ;
Ayez de vostre honneur, et non de moy, pitié.


PRIERE


Grand Dieu d’Amour, enfant de Cytherée,
Au dos ailé, à la tresse dorée,
Qui peux l’enfer et la terre esmouvoir,
Vainqueur des Dieux, écoute la priere
D’un de tes serfs, dont l’ame prisonniere,
Tremblant de crainte, adore ton pouvoir.

Las ! s’il est vray, comme j’ay connoissance,
Que je retourne en ton obeïssance,
Et derechef tu me vueilles ravir ;
Je le veux bien, mon cœur je t’abandonne,
Encor un coup, libre je m’emprisonne :
À plus grand Dieu je ne puis m’asservir.

Je ne veux point à tes loix contredire ;
Sans resister, j’accours sous ton empire :
L’homme mortel doit obeïr aux Dieux ;
Qui te meprise, il confond la nature,
Son estomach est d’une roche dure,
Voire à regret lui esclairent les cieux.

Icy je jure à ta deïté sainte,
Qui connoist bien que je parle sans fainte,
Qu’à tout jamais je veux perseverer
Ton prestre saint, qui t’offre en sacrifice
Mon cœur brûlé pour te rendre propice,
Et mon esprit pour tousjours t’adorer.