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Je veux donc poursuivir sans esperance aucune,
Sans appuy, sans raison, sans conseil, sans fortune,
Et d’Amour seulement je veux estre guidé :
Un aveugle, un enfant, qui desja m’a bandé
Les yeux ainsi qu’à luy, pour ne voir mon offance,
Et qui de mon malheur m’oste la connoissance :
Ou, si je le connois, il me trouble si fort,
Que je suis le premier qui consens à ma mort.

Appelle qui voudra Phaëton miserable
D’avoir trop entrepris, je l’estime loüable ;
Car au moins il est cheut un haut fait poursuivant,
Et par son trespas mesme il s’est rendu vivant :
J’aimeroy mieux courir à ma mort asseurée,
Poursuivant courageux une chose honorée,
Que lasche et bas de cœur mille biens recevoir
De ceux que le commun aisément peut avoir.
Mon esprit, nay du ciel, au ciel tousjours aspire,
Et ce que chacun craint, c’est ce que je desire :
L’honneur suit les hazars, et l’homme audacieux
Par son malheur s’honore et se rend glorieux.
Le jeune enfant Icare en sert de temoignage,
Car, si volant au ciel il perdit son plumage,
Touché des chauds rayons du celeste flambeau,
Le fameux ocean luy servit de tombeau,
Et depuis de son nom cette mer fut nommée :
Bien-heureux le malheur qui croist la renommée.
Desja d’un sort pareil je me sens menacer,
Moy qui devers le ciel mon vol ose dresser
(Voyage audacieux !) ; mais rien ne me retire,
Car les ailes d’Amour ne sont faites de cire,
Le plus ardant soleil si tost ne les fondra :
Puis j’ay ce reconfort, quand ma cheute adviendra,
Que ceux qui sçauront bien où je voulois attaindre
Envieront mon trespas plustost que de me plaindre.


COMPLAINTE


Sauvage loy d’Amour et de ma destinée !
Las ! on voit qu’un chacun fuit naturellement
Ce qui le peut destruire : et mon ame obstinée
Cherche ce qui me tuë et s’y plaist follement.

Je sçay que je me pers pour croire à ma jeunesse,
Je voy par la raison que c’est trop m’abuzer.
Inutile sçavoir dont je ne puis uzer,
Miserable raison dont la force est maistresse !

Quand le mal vient d’en haut, vaine est toute deffance,