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LES AMOURS D’HIPPOLYTE.

Contre le desespoir armé de violance,
Qui me fait mille assauts et ne me peut forcer :
Quelquefois de furie il fait breche en mon ame ;
Mais presqu’au mesme instant vostre beauté, madame,
Accourant au secours, l’engarde de passer.

Je voudroy bien pourtant qu’il demeurast le maistre !
Il combat mon salut, que je ne veux connoistre.
Mais, las ! je me repen de l’avoir desiré ;
Car, bien que ma douleur mortellement me blesse,
Et que de mieux avoir je sois desesperé,
J’aime mieux vivre ainsi qu’en toute autre liesse.


ELEGIE


Je delibere en vain d’une chose advenuë,
Car, puis qu’outre mon gré mon ame est devenuë
Prisonniere d’Amour, que sert de consulter
S’il est bon de le suivre, ou s’il faut l’éviter ?
L’advis n’y vaut plus rien, monstrons donc de nous plaire
Au chemin qu’aussi bien par contrainte il faut faire,
Et courons la fortune. O Amour ! desormais
Mon repos et ma vie en tes mains je remets.
Toy seul comme un grand roy commande en ma pensée,
La raison et la peur loin de moy soit chassée,
Et tant de vains respects qui m’ont trop retenu,
Divisans mon esprit par un trouble inconnu.

Celuy qui sent de Mars sa poitrine échauffée,
Et qui veut s’honorer de quelque beau trofée,
Ne pallist estonné pour la peur des hazars,
Mais voit devant ses yeux, par les rangs des soldars,
La mort d’horreur couverte et de sang toute tainte,
Et l’attend de pié coy sans frayeur et sans crainte.
Moy donc qu’un plus grand Dieu touche si vivement,
Et qui veux que mon nom vive eternellement,
Pour avoir mon amour sur tout autre élevée :
Moy qui ay tant de fois ma vaillance esprouvée,
Craindray-je maintenant à ce dernier assaut ?
Le fait que j’entrepren veut un courage haut,
Constant et patient, qui souffre sans se plaindre,
Qui durant sa langueur joyeux se puisse faindre,
Qui sente incessamment quelque nouveau trespas,
Qui se laisse brûler et ne soupire pas,
Et qui, pour tout loyer des douleurs qu’il supporte,
Ne puisse esperer rien qu’une douleur plus forte.
C’est un labeur bien grand : mais rien n’est mal-aisé
Au cœur qui comme moy d’amour est embrasé.