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Et ne croy point qu’en nous d’autres fleches il tire
Que les traits de vos yeux si pronts et si luisans.

De leur vive splendeur sortent les feux cuisans
Qui font que tout le monde a peur de son empire ;
Ses rèts sont vos cheveux, où toute ame il attire,
Ravie en si beaux nœux, si blonds et si plaisans.

C’est pourquoy ce vainqueur, qui par vous se fait craindre,
Ne sçauroit vous blesser, vous brûler, vous estraindre,
Prenant de vous son feu, son cordage et ses traits.

Craignez donc seulement qu’en voyant vostre image,
Vous ne puissiez souffrir tant d’amours et d’attraits,
Et ne faciez, vaincuë, à vous mesmes hommage.


STANCES


Lors que j’escry ces vers, il ne faut que l’on pense,
Que trop audacieux je n’aye connoissance,
Du rang que vous tenez et de ma qualité :
Car je jure vos yeux et leur puissance sainte
Que je garde en cecy le respect et la crainte,
Dont il faut reverer une divinité.

Aussi tant de vertus vous font toute divine,
Et vos douces beautez monstrent bien l’origine
Que vous avez du ciel tout parfait et tout beau :
Vous n’avez rien d’humain, vostre grace est celeste,
Vos discours, vostre teint, vostre ris, vostre geste,
Et l’Amour sans vos yeux n’auroit point de flambeau.

J’en parle asseurement : car je connoy sa flame,
Qui souloit prendre vie aux beaux yeux d’une dame,
Et qu’il me fist sentir lors que j’en fu surpris :
Las ! or’ à mon malheur je l’ay mieux reconnuë,
Regardant folement les traits de votre veuë,
Qui m’ont bien sçeu punir d’avoir trop entrepris.

Or ne m’accusez point que je sois temeraire,
Presumant vous aimer : car je ne sçauroy faire
Qu’ailleurs tourne mon cœur, qui vous est destiné ;
Et, quand ce seroit faute aux mortels d’entreprendre
D’aimer une deesse, on ne m’en peut reprendre :
Le peché fait par force est toujours pardonné.

Las ! on peut bien juger que c’est une contrainte,
Veu qu’au plus fort du mal dont mon ame est attainte,
Je ne me puis garder de vous suivre en tous lieux,
Et que, trouvant ma mort peinte en vostre visage,
Mon triste desespoir, ma perte et mon dommage,
Pour n’y connoistre rien, je me ferme les yeux.

J’ay fait un fort rempart d’amour et de constance,