Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
LES AMOURS D’HIPPOLYTE.


XVII


Qu’une secrette ardeur me devore et saccage,
Et que, privé d’espoir, j’ayme, helas ! vainement,
Je ne m’en fasche point : je me plains seulement
Que mon œil n’est plus clair pour voir vostre visage.

Que ne suis-je l’oiseau ministre de l’orage,
Qui tient l’œil au soleil sans flechir nullement ?
Je seroy bien-heureux, voyant incessamment
La divine beauté qui me tient en servage.

Le malheur qui me guide est plein de grand’ rigueur,
Un monstre horrible à voir ne me fait point de peur,
Et je crain les regars d’une jeune deesse.

C’est Amour qui le fait, qui ne s’assouvit pas,
Le cruel, de ma mort, mais veut que mon trespas
Soit privé de tout point d’honneur et de liesse.


XVIII


Pourquoy si folement croyez-vous à un verre,
Voulant voir les beautez que vous avez des cieux ?
Mirez-vous dessus moy pour les connoistre mieux,
Et voyez de quels traits vostre bel œil m’enferre.

Un vieux chesne ou un pin, renversez contre terre,
Monstrent combien le vent est grand et furieux :
Aussi vous connoistrez le pouvoir de vos yeux,
Voyant par quels efforts vous me faites la guerre.

Ma mort de vos beautez vous doit bien asseurer,
Joint que vous ne pouvez sans peril vous mirer :
Narcisse devint fleur d’avoir veu sa figure.

Craignez doncques, madame, un semblable danger,
Non de devenir fleur, mais de vous voir changer,
Par vostre œil de Méduse, en quelque roche dure[1].


XIX


L’arc de vos bruns sourcils mon cœur tyrannisans,
C’est l’arc mesme d’Amour, dont traistre il nous martire :

  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    A che presti, superba, a un vetro fede ?
    Se ben comprender vuoi la tua bellezza,
    Specchiate in me : ch’ è tanta sua grandezza
    Quanto è l’ incendie mio, ch’ ogn’ altro eccede.