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Pensant au bien qui me doit advenir,
Cet heureux jour que je verray ma dame.

Plus j’en suis pres, plus mon desir s’enflame,
Je ne puis plus ses efforts retenir :
Mais, ô mes yeux ! pourrez-vous soustenir
Ses chauds regars pleins d’amoureuse flame ?

Que me sert, las ! si fort la desirer ?
Fol que je suis, veux-je donc esperer
Qu’estant pres d’elle en repos je demeure ?

Et pres et loin je languis en tous lieux ;
Mais, puis qu’il faut qu’en la servant je meure,
Pour nostre honneur mourons devant ses yeux.


XV


Ce n’est assez que soyez si bien née,
Riche d’esprit, de race et de beauté,
Que l’honneur saint marche à vostre costé,
Grande, admirable, aux vertus addonnée.

En peu de jours la forte destinée
Peut rendre, helas ! vostre honneur surmonté :
On ne sçaura que vous avez esté,
Ny que le ciel vous ait tant fortunée.

Si vous voulez immortelle durer,
Nul mieux que moy ne vous peut honorer,
Et vos vertus à jamais faire bruire.

Je l’entrepren ; mais, pour plus m’animer,
Permettez-moy que j’ose vous aimer :
L’affection me fera mieux escrire.


XVI


Mon Dieu, que de beautez sur le front de ma dame !
Mon Dieu, que de tresors qui ravissent les Dieux !
La clarté de son œil passe celle des cieux,
Quand au plus chaud du jour le soleil nous enflame.

Mais, las ! de mille traits sa beauté nous entame,
Trop sont pour les mortels ces tresors precieux,
Et le soleil luisant qui sort de ses beaux yeux
Respand tant de clarté, qu’il aveugle nostre ame.

Estrange fait d’Amour ! un objet à l’instant
Me rend triste et joyeux, malheureux et contant,
M’esclaire et m’esbloüit, me fait vivre et me tuë.

Et voilà ce qui fait qu’en forçant mon vouloir,
Je me banny, helas ! du plaisir de vous voir,
Pour ne sentir le mal qui vient de vostre veuë.