Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
LES AMOURS D’HIPPOLYTE.


XII


Celuy qui n’a point veu le printans gracieux,
Quand il estale au ciel sa richesse prisée,
Remplissant l’air d’odeurs, les herbes de rosée,
Les cœurs d’affections et de larmes les yeux.

Celuy qui n’a point veu par un tans furieux
La tourmente cesser et la mer appaisée,
Et qui ne sçait, quand l’ame est du corps divisée,
Comme on peut s’esjouyr de la clarté des cieux.

Qu’il s’arreste pour voir la celeste lumiere
Des yeux de ma deesse, une Venus premiere ;
Mais que dy-je ? ah ! mon Dieu ! qu’il ne s’arreste pas :

S’il s’arreste à la voir, pour une saison neuve,
Un tans calme, une vie, il pourroit faire espreuve
De glaçons, de tempeste et de mille trespas.


XIII


Pourquoy si plein d’orgueil marches-tu sur ma teste,
Triomphant de l’honneur qu’un autre a merité ?
Tes dars tant crains au ciel ne m’ont pas surmonté,
Amour, c’est une dame, et non toy qui m’arreste.

Si tu veux t’honorer du prix de ma conqueste,
Fay qu’elle me remette en pleine liberté,
Puis pren pour m’asservir cet arc tant redouté,
Qui de Jupiter mesme accoise la tempeste.

Je n’ay point peur de toy, celle qui me retient
Par l’effort de ses yeux ton empire maintient ;
C’est elle qui te fait comme un Dieu reconnoistre.

Si je t’obeïssois et t’ay craint par avant,
C’estoit pour l’amour d’elle. On endure souvant
D’un mauvais serviteur pour l’amour de son maistre[1].


XIV


Je sens fleurir les plaisirs en mon ame,
Et mon esprit tout joyeux devenir,

  1. Imité d’un sonnet italien qui débute par cette strophe :

    A che, cieco Fanciul cotanto orgoglio ?
    A che di superbia si te mostri acceso ?
    A madonna mi son, non a te reso :
    Lei fu che ruppe del mio petto il scoglio.