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Si je meurs en chemin, je seray hors de paine,
Et par mon haut desir j’honore mon trespas.

Il faut continuer quoy que j’en doive attendre :
Ce fut temerité de l’oser entreprendre,
Ce seroit lascheté de ne poursuivre pas.


X


Amour, qui vois mon cœur à tes piés abbatu,
Tu le vois tout couvert de sagettes mortelles,
Pourquoy donc sans profit en pers-tu de nouvelles ?
Puisque je suis à toy, pourquoy me poursuis-tu ?

Si tu veux, courageux, esprouver ta vertu,
Décoche tous ces traits sur les ames rebelles,
Sans blesser, trop cruel, ceux qui te sont fidelles,
Et qui sous ton enseigne ont si bien combattu.

Quand tu tires sur moy, tu fais breches sur breches ;
Donc, sans les perdre ainsi, garde ces belles fleches
Pour guerroyer les dieux, et m’accorde la paix.

Ah ! j’enten bien que c’est : Amour veut que je meure ;
Je mourray, mais au moins ce confort me demeure,
Que la mort de moy seul luy couste mille traits[1].


XI


Cesse, ô trop foible esprit ! de plus faire defance,
Et quittons le rempart gardé si longuement,
Aussi bien sans profit ferions nous autrement :
Contre un si grand effort peu sert la resistance.

Tant plus je vay avant, plus j’ay de connoissance
Du pouvoir de vos yeux, qui me vont consumant ;
Et faudra qu’à la fin je meure en vous aimant :
Telle est de mon destin la fatale ordonnance.

En vain contre le ciel l’homme se veut bander ;
Car que n’ay-je essayé pour de vous me garder ?
Depuis maintes saisons contre moy je m’obstine.

Et fay ce que je puis de peur de me ranger :
Car je crains à bon droit, vous voyant si divine,
Que plus, comme j’ay fait, je ne puisse changer.


  1. Imité d’un sonnet italien qui débute par cette strophe :

    A che contra d’ un vinto opri più l’ arco ?
    Usalo contra quei che non son resi ;
    Già mille altri ribelli avresti presi
    Con le saette delle qual m’ hai carco.