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LES AMOURS D’HIPPOLYTE.


VII


Amour sceut une fois si vivement m’attaindre,
Qu’il me tint trois hyvers en langueurs et en cris ;
À la fin la raison, regagnant mes espris,
Chassa l’aigre douleur qui tant me faisoit plaindre.

Mais, ainsi qu’un flambeau qu’on ne fait que d’étaindre,
Si le feu s’en approche est aussi-tost repris :
Dans mon cœur chaud encor un brasier s’est épris,
Voyant vostre bel œil qui les dieux peut contraindre.

Ô que ce feu nouveau, dont je suis consumé,
Est plus ardant que l’autre en mon sang allumé !
Bien qu’il ne luise point, que sa flame est cruelle !

De mon premier accez je me suis peu guarir,
Mais je n’espere plus cet autre secourir :
Car, las ! presque tousjours la r’encheute est mortelle.


VIII


Dieu, qui fais de mon cœur ta victime sanglante,
Si prestre à ton autel, jeune, tu m’as rendu,
Si pour suivre ta loy mon esprit j’ay perdu,
Et si dedans le feu tes loüanges je chante.

Travaille-moy tousjours, ma douleur m’est plaisante ;
Cherche moy tout par tout, rien ne t’est deffendu ;
Mais fay que mon tourment ne soit point entendu
Et que ma belle flame ailleurs ne soit luisante.

Ayant d’un cœur hautain jusqu’au ciel aspiré,
Aux plus cruels tourmens je me suis preparé,
Rigueurs, gesnes, prisons, fers et feux je mesprise.

Si rien me fait pallir, c’est, helas ! seulement
Que mon feu soit connu par mon embrasement,
Et que les mesdisans troublent mon entreprise.


IX


Amour peut à son gré me tenir oppressé,
Et m’estre, helas ! à tort, rigoureux et contraire :
Je veux demeurer ferme, et ne faut qu’il espere
Qu’en adorant vos yeux je sois jamais lassé.

Je voy bien mon erreur, et que j’ay commencé
(Nouveau frere d’Icare) un vol trop temeraire,
Mais je le voy trop tard et ne m’en puis distraire,
Par la mort seulement il peut estre laissé.

Raison, arriere donc : ta remonstrance est vaine,