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et celui-là jouoit avec la grande dame, qui estoit de riche matière ; le troisiesme estoit gentilhomme, qui s’apparioit avec la fille, car, gallante qu’elle estoit, elle vouloit jouer son personnage aussi bien que les aultres. Ainsi costumièrement l’auteur d’une comédie joue son personnage ou le prologue, comme fit celle-là, qui certes, toute fille qu’elle estoit, le joua aussi bien, ou, possible, mieux que les mariées. Aussi avoit-elle vu son monde ailleurs qu’en son pays et, comme dit l’Espagnol : Raffinada en Secobia (raffinée en Ségovie), qui est un proverbe en Espagne, d’autant que les bons draps se raffinent en Ségovie. » Marguerite de Valois, selon Brantôme, n’aurait donc pas fait la prude, comme l’assure Desportes, sans doute pour ménager la princesse. La narration du libre chroniqueur prouve, en outre, que les deux grandes dames étaient mariées ; leurs noces avaient effectivement eu lieu le même jour, en 1572. Cela donnerait à la belle Châteauneuf la priorité dans le cœur du duc d’Anjou, malgré l’assertion du poëte lyrique.

Le souvenir de cette après-dînée empêcha peut-être le prince royal de commettre un assassinat. Le duc de Guise, ayant tenu si près de lui la femme qu’il aimait, continua ses assiduités. Il arriva d’ailleurs que le duc d’Anjou et lui se brouillèrent. Les galanteries du jeune homme furent interprétées par Catherine de Médicis comme un ambitieux désir de s’allier à la famille royale. Pour abattre sa présomption, elle ne trouva rien de mieux que de le faire tuer. Charles et son frère y consentirent ; le duc d’Anjou se chargea même de l’exécution. « De fait, nous dit Henri Estienne, le duc d’Anjou, qui l’avoit aimé ardemment et familièrement, l’attend en une galerie, résolu de luy donner d’une dague dans le sein quand il passeroit, dont toutefois il s’abstint, se ressouvenant des services de ceux de cette maison[1] : » La scène de libertinage, décrite par notre auteur, contribua peut-être beaucoup plus à l’arrêter que des services réels.

La princesse de Condé n’enchaîna pas longtemps le duc d’Anjou. Une triomphante rivale le lui disputa, lui enleva le cœur du prince[2] ; c’était une blonde ravissante, d’une illustre maison de Bretagne, Renée de Rieux, dite la belle Châteauneuf ;

  1. Discours merveilleux de Catherine de Médicis.
  2. Nous suivons ici les indications de Desportes ; mais elles doivent être fausses. Mademoiselle de Châteauneuf précéda sa rivale dans les bonnes grâces de l’héritier présomptif. Notre auteur a supposé le contraire pour flatter la princesse de Condé. Au reste, cette chronologie de boudoir n’a pas grande importance.