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Hé ! donnez moy de grace un peu de patience ;
Mais vous me travaillez pour punir mon offence
De ce que j’ose aimer une divinité.

Encor en endurant ma douleur vehemente,
Ô trop cruel destin ! celle qui me tourmente
Ignore que je meurs par l’effort de ses yeux.

Madame, helas ! monstrez que vous estes divine,
Lisez dedans les cœurs ainsi que font les dieux,
Et voyez que mon mal a de vous origine.


V


Puis que vous le voulez, demeurez inhumaine,
Et, me faisant mourir, feignez de n’en rien voir ;
Vous ne pourrez pourtant ma constance esmouvoir,
Car du feu de vos yeux mon ame est toute pleine.

Mon cœur est immuable et mon amour certaine,
Les plus cruels tourmens y perdent leur pouvoir ;
S’il advient que je meure en faisant mon devoir,
Vous en aurez l’offence et j’en auray la peine,

Las ! mon mal me plaist tant, pource qu’il vient de vous,
Que je trouve en souffrant le martyre bien doux,
Et de m’en delivrer je ne prens point d’envie.

C’est pourquoy je craindroy de mourir en aimant,
Non pour fuïr la mort, mais de peur seulemant
De perdre mes douleurs, si je perdoy la vie.


VI


Je ne puis pour mon mal perdre la souvenance
Du soir, soir de ma mort, que mon œil curieux
Osa voir trop hardy le plus parfait des cieux,
Et le nouveau soleil si luisant à la France.

Mon Dieu ! que de clartez honoroient sa presance ;
Que d’amours, de desirs et d’attraits gracieux,
Mais plustost que de morts, de soucis furieux,
De pleurs, d’aveuglemens, pour punir mon offance !

Je voyoy bien mon mal, mais mon œil desireux,
Ravy de ses beautez, s’y trouvoit bien-heureux,
Lors qu’un flambeau cruel trop tost l’en fist distraire.

Helas ! flambeau jaloux de ma felicité,
N’approche point d’icy, porte ailleurs ta clarté,
Sans toy cet œil divin rend la salle assez claire.