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LXXII


Lettres, le seul repos de mon ame agitée,
Helas ! il le faut donc me separer de vous ;
Et que par la rigueur d’un injuste courroux
Ma plus belle richesse ainsi me soit ostée.

Ha ! je mourray plustost, et ma dextre indontée
Flechira par mon sang le ciel traistre et jaloux,
Que je m’aille privant d’un bien qui m’est si doux ;
Non, je n’en feray rien, la chance en est jettée !

Il le faut toutesfois, elle les veut r’avoir,
Et de luy resister je n’ay cœur ny pouvoir,
À tout ce qu’elle veut mon ame est trop contrainte.

Ô beauté sans arrest ! mais trop ferme en rigueur,
Tien, reprend tes papiers et ton amitié sainte,
Et me rens mon repos, ma franchise et mon cœur.


LXXIII


Aux plus rudes assaux d’une aspre maladie
Encor que mon esprit soit foible et languissant,
Privé du doux objet qui l’alloit nourrissant,
Sa chaleur toutesfois n’est en rien attiedie.

Car vostre belle image, amoureuse et hardie,
Par un portail secret au secours s’avançant,
L’alimente, l’eschauffe et la va renforçant,
Avant que sa vigueur puisse estre refroidie.

Pourtant, ne doutez point, ô ma chere douleur !
Qu’absent, troublé, malade, ou par autre malheur,
Vostre beauté divine en mon ame s’efface.

Car tant plus le destin me combat par dehors,
Plus mes loyaux pensers au dedans se font forts,
Resolus de mourir pour vous garder la place.


LXXIV


Si l’amour de ma foy rend vostre ame craintive,
Doutant que ce vouloir, qui jadis m’a brûlé,
Par le temps à la fin soit éteint ou gelé,
Que de si vaine erreur la verité vous prive.

Jamais en mon esprit flamme ne fut si vive,
Je suis tel que j’estois quand mon cœur fut volé,
Le jour qu’un chaste amour, dans vos yeux recelé,
Rendit heureusement ma liberté captive.

Je gouste, en vous oyant, mesme ravissement,