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Pendant qu’il parle à elle, ardent de mille flammes,
Les amans désireux et les deux jeunes dames
Entrent au paradis tant de fois souhaité,
Agréable séjour de leur félicité.
O jeune enfant, Amour, le seul dieu des liesses !
Toi seul pourrois compter leurs mignardes caresses,
Leurs soupirs, leurs regards, leurs doux ravissemens,
Et ces petits refus suivis d’embrassemens,
Ces propos enflammés, ces agréables plaintes,
Ces désirables morts et ces colères feintes ;
Tu les peux bien compter, car tu y fus toujours.

Leur bonheur dura jusqu’au soir, jusqu’à la nuit close, et le poëte déplore que l’ombre soit venue trop tôt les séparer.

Voilà un de ces épisodes que l’histoire politique ne raconte point et qui ne laissent pas d’avoir leur importance pour quiconque veut étudier les mœurs d’une époque. La scène caractérise énergiquement la cour des Valois. Quelle effronterie ! quel libertinage précoce ! Un futur roi de France ne pas même respecter sa sœur ; lui conseiller la débauche, et se livrer devant elle à tous les emportements, à tous les caprices de la passion ! Où trouver un pareil exemple de dévergondage, si ce n’est sous Louis XV ? Et Desportes qui nous raconte ces égarements comme la chose la plus naturelle du monde ! L’historien vaut les acteurs[1].

Brantôme raconte indubitablement la même aventure dans ses Dames galantes[2]. « Ce fut une fille en notre cour, dit-il, qui inventa et fit jouer cette belle comédie, intitulée le Paradis d’amour, dans la salle Bourbon, à huis clos, où il n’y avoit que les comédiens, qui servoient de joueurs et de spectateurs tout ensemble. Ceux qui en sçavent l’histoire m’entendent bien ; elle fut jouée par six personnages de trois hommes et de trois femmes ; l’un étoit prince, qui avoit sa dame qui estoit grande, mais non pas trop aussi ; toutefois il l’aymoit fort : l’aultre estoit un seigneur,

  1. Dans le récit, les personnages portent des noms fictifs : le duc d’Anjou s’appelle Eurylas ; la princesse de Condé, Olympe ; Marguerite de Valois, Fleur-de-Lys ; le duc de Guise, Nirée ; la suivante, Camille ; et son ami de cœur, Floridant. On a voulu voir dans Nirée Desportes lui-même : la manière dont il en parle rend cette hypothèse inadmissible.

    Mais ce ne fut pas tout : Olympe qui savoit
    Qu’au sang de Fleur-de-Lys Amour ses traits lavoit,
    Ayant en mille endroits sa poitrine enferrée
    Par les divins attraits du gracieux Nirée…

    Un homme ne dit pas de lui-même qu’il a des attraits divins. Le duc de Guise s’appelait Henri, mot qu’on retrouve dans Nirée, avec une h de moins et un é de plus, introduit pour l’oreille.

  2. Quatrième discours.