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Espais monceau de neige aveuglant les regars,
Pour qui de tout objet mon œil se desallie ;
Et toy, guerriere main de ma prise embellie,
Qui peut, nuë, acquerir la victoire de Mars ;

Yeux pleuvans à la fois tant d’aise et de martire,
Sous-ris par qui l’Amour entretient son empire,
Voix dont le son demeure au cœur si longuement ;

Esprit par qui le fer de nostre âge se dore,
Beautez, graces, discours, qui m’allez transformant,
Las ! connoissez-vous point comme je vous adore[1] ?


DIALOGUE


Qui vous rend, ô mes yeux ! vostre joye premiere,
Vu que vous n’estiez plus qu’aux pleurs accoustumez ?
— L’esperance de voir nostre aimable lumiere,
Et d’adorer bien-tost ses rayons tant aimez.

D’où vient que mon oreille est si pronte et soudaine,
Et qu’elle est attentive à tout bruit qui se fait ?
— Il lui semble d’ouyr cette voix plus qu’humaine
Qui peut rendre mon cœur contant et satisfait.

Est-ce Amour, ô mes pieds ! qui vous preste ses ailes,
Vu que les jours passez vous ne pouviez marcher ?
— C’est que nous courons voir des beautez immortelles,
Dont l’effort suffiroit pour mouvoir un rocher.

Pourquoy donc, ô mon cœur ! quand cet heur nous arrive,
Languis-tu de foiblesse et te vas effroyant ?
— C’est l’extrême desir qui de force me prive,
Puis je crain de mourir de joye en la voyant.


LXII


Quoy que vous en pensiez, je suis tousjours semblable ;
Le tans, qui change tout, n’a point changé ma foy.
Les destins, mon vouloir, et ce que je vous doy,
Font qu’aux flots des malheurs mon ame est immuable.

Vos yeux, dont la beauté rend ma perte honorable,
N’ont jamais veu de serf si fidelle que moy ;
Je tien des simples corps dont constante est la loi :
Tousjours je vous adore, et rude, et favorable.

L’absence et les rigueurs de cent mille accidens
N’ont sçeu rendre en quatre ans mes brasiers moins ardans,

  1. Sonnet destiné à mademoiselle de Châteauneuf et composé pour le duc d’Anjou, depuis Henri III. (Voyez la note de la page 96.)