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LVI


Tant d’amour, tant de foy dont vos lettres sont plaines,
Tant de feu que le tans n’a rendu moins vivant,
Et tous ces beaux discours qui m’alloient decevant,
Ne sont que des chansons et des parolles vaines.

Je ne m’en paye plus, mes travaux et mes paines
Cherchent du bien solide, au lieu d’ombre et de vant,
N’abusez donc l’espoir d’un fidelle servant :
Amour veut des effets et des preuves certaines.

Depuis quatre ans entiers vous m’appastez ainsi ;
Je vieillis cependant, vous vieillissez aussi,
Et perdons de nos ans la saison mieux aimée.

D’en taxer la fortune et les empeschemens,
C’est une foible excuse : oncques deux vrais amans
Ne trouverent pour eux de porte assez fermée.


LVII


J’ai tant souffert d’ennuis, de honte et de misere,
Depuis qu’à vos beaux yeux mon esprit s’est rendu ;
Mon âge et mon labeur j’ai si mal despendu,
Que j’en sers de risée et de fable au vulgaire.

Je veux rompre mes fers, plein de juste colere,
Et perdre heureusement l’amour qui m’a perdu.
L’eussé-je fait plus tost ! J’ai bien tard attendu,
Mais si n’est-ce pas peu de m’en pouvoir deffaire.

Loin, loin, bien loin de moy, pensers fallacieux,
Espoirs faux et trompeurs, desirs ambitieux,
Et des travaux passez souvenir trop durable.

J’appen à Nemesis, pour acquiter mes vœux,
Ces traits qu’elle a rompus, ces flambeaux et ces nœux,
Esteints et deliez par sa main secourable.


LVIII


Le robuste animal dont l’Inde est nourriciere,
Qui, pour n’estre pollu, se purge et va lavant,
Afin que, plus devôt, il puisse, en arrivant
La nouvelle Diane, adorer sa lumière :

S’il faut monter sur mer, par force ou par priere,
Estant prés du vaisseau, ne veut passer avant
Si son maistre ne parle et lui jure devant
De sain le reconduire en sa terre premiere :

Moy, plus lourd mille fois et plus mal advisé,