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Mes esprits abattus sont-ils si fort coupables,
Que leur peine en trois ans ne t’ait pas satisfait ?

Mon cœur, mon œil, mon teint, blessé, cavé, deffait,
De traits, de pleurs, d’ennuis, cruels, amers, durables,
Pourroient faire avoüer aux damnez miserables
Que de mes passions l’enfer n’est qu’un portrait.

De ma soif pres des eaux Tantale est la figure ;
Le vautour de Titye est la peine où je dure,
Tenaillé d’un desir qui me ronge et me poind ;

Mon travail sans proflt est le seau des Belides,
Et mes chauds desespoirs les fieres Eumenides ;
Mais, las ! en mon enfer Lethés ne passe point.


LIV


Dressez-moy sans cesser querelle sur querelle,
Et tenez de vos yeux le beau soleil caché,
Pour rendre mon espoir languissant et seiché,
Et pour couvrir mes jours d’une nuict eternelle ;

Que pour moy de tout point la pitié soit cruelle,
Et que tousjours le ciel à mes cris soit bouché,
La rigueur des ennuis dont je seray touché
N’aura jamais pouvoir de me rendre infidelle.

Mon cœur, aux flots du mal, semble un roc endurcy ;
Vous estes mon soleil, je suis vostre soucy,
M’ouvrant tant seulement aux rais de vostre veuë.

Las ! vous le sçavez bien ; mais, pour me tourmenter,
Sans cause, à tous propos, vous monstrez d’en douter,
Et c’est de tous mes maux celuy seul qui me tuë.


LV


Puisqu’il vous plaist, Madame, et qu’avez tant d’envie
Que je cesse d’aimer, d’adorer, et d’avoir
Au cœur vostre portrait, je veux vous faire voir
Que je puis l’impossible en vous rendant servie.

Vos rigueurs, vos dedains, les douleurs de ma vie,
En vain eussent pensé ma constance émouvoir,
Car aux plus grands malheurs s’augmentoit son pouvoir,
Comme un roc s’endurcit aux vens et à la pluie.

Mais, puis que je vous fasche, et qu’il ne vous plaist pas
D’un regard seulement honorer mon trespas ;
Puis que ma servitude et ma foi vous offence,

L’ame et le cœur en feu, l’œil de pleurs tout chargé,
Pour ne vous ennuyer par trop de patience
Et pour vous obeïr, j’accepte mon congé.