Mes amis desolez hautement m’avoient pleint,
Me voyant si debile et mon œil si farouche.
Durant que je mourois, le rigoureux Amour,
Collé sur mon chevet, sans repos nuit et jour,
Me souffloit à l’oreille et redoubloit ma flame.
« Las ! Amour, laisse moy mourir plus doucement.
— Je le veux bien, dit-il ; mais fay ton testament,
Et dy qu’apres ta mort tu me laisses ton ame. »
LI
Cette humeur qui m’aveugle et me bande les yeux,
Coulant incessamment, pour mon bien est venuë,
Car je cesse de voir le bel œil qui me tuë,
Et qui rend de ma prise un enfant glorieux.
Non, ce n’est pour mon bien ; mais c’est quelqu’un des Dieux
Jaloux du paradis qui bien-heuroit ma veuë,
En l’objet des beautez dont vous estes pourveuë,
Qui m’a donné ce mal, de mon aise envieux.
Quiconque sois des Dieux, cesse d’avoir envie
Que deux si beaux soleils façent luire ma vie,
Et que de leurs rayons procedent mes chaleurs.
Helas ! j’achette assez les regards de ma dame,
Qui sens pour un trait d’œil mille pointes en l’ame,
Et pour un court plaisir tant de longues douleurs.
LII
Quel supplice infernal, quelle extrême souffrance,
Peut approcher du mal dont je suis tourmenté ?
Ô rigoureux Amour ! si je t’ay despité,
Tu te monstres trop aigre à punir mon offance.
J’avois esté six mois, pleurant pour une absence,
Languissant, desolé, couvert d’obscurité,
Vivant du seul espoir de revoir la clarté,
Qui fait fleurir mes jours par sa douce influence.
Amans, jugez ma peine : or’ qu’elle est de retour,
Il faut pres de ses yeux, pour couvrir mon amour,
Que, sans la regarder, je tourne ailleurs la veuë.
Helas ! je suis reduit jusqu’à si piteux point,
Qu’afin que mon amour à tous soit inconnuë
Je feins tant, qu’elle croit que je ne l’aime point.
LIII
Dieu des hommes perdus, sera-ce jamais fait ?
Seray-je tousjours butte aux douleurs incurables ?