Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XLIX


O mort ! tu pers ton tans de me poursuivre ainsy,
Me tenant miserable en fievre continuë,
Qui trouble mon cerveau, comme la mer esmeuë,
Battant de cent boüillons un rocher endurcy.

Je n’ai plus de couleur, mon œil est tout noircy,
Ma langue, ardant sans cesse, est seche devenuë,
Mon accez violent jamais ne diminuë,
Et tu ne peux finir ma vie et mon soucy.

C’est que tes coups sont vains contre une froide lame,
Sans cœur, sans mouvement, sans esprit et sans ame,
Qui rebouche les traits de ta cruelle main.

Si tu veux donc, ô mort ! triompher de ma vie,
Il faut contre ma dame adresser ta furie :
Blesse mon cœur qu’elle a, je mourray tout soudain.


STANCES


Sommeil, qui, trop cruel au tans de mes amours,
M’as privé si souvent des plus douces pensées,
Tenant outre mon gré mes paupieres pressées,
Lorsque je desiroy pouvoir veiller tousjours.

Or’ qu’une fievre ardente en mon sang allumée
Change en feu mes soupirs et mon cœur en fourneau,
Trempe au fleuve d’oubly bien avant ton rameau,
Et distile en mes yeux cette liqueur aimée.

De grace, hé ! que je dorme, et que les tronblemens
Qui font de mon esprit une mer irritée,
Me donnent quelque trêve ; ainsi ta Pasithée
Paye cette faveur de mille embrassemens.

Heureux loirs, qui dormez la moitié de l’année,
Las ! qu’un somme aussi fort ne me peut-il tenir ?
Mais, pour plus grand repos et pour mon mal finir,
Soient mes yeux pour jamais clos de la destinée.


L


J’estoy sans connoissance estendu dans ma couche,
Sans pouls, tousjours rêvant, mortellement attaint ;
Mes yeux estoient cavez, de mort estoit mon teint,
Et mon corps tout courbé comme une vieille souche.

La fievre avoit cueilly les roses de ma bouche,
Et palli le vermeil sur mon visage peint.