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XLIV


Vostre bouche, ô deesse ! a mal prophetizé ;
Pardonnez si l’Amour me fait vous contredire,
Car Philene a bouché ses oreilles de cire,
Et des charmes trompeurs ne l’ont point amusé.

Cet œil, qui l’a rendu quelquefois embrasé,
Obscurci d’un plus beau, pour luy cesse de luire ;
Il le voit sans danger, sans joie et sans martire :
Jamais un bel esprit n’est deux fois abusé.

Reste donc, que Diane, en voyant sa constance,
Souffre qu’Amour la touche, et, douce, ore commance
A plaindre un peu le mal d’un cœur qui est tout sien ;

Sinon vous jugerez si l’amant est bien sage,
Qui fuit les doux appas d’une dame volage
Pour se perdre aux rigueurs d’une qui n’aime rien.


XLV


Cent et cent fois le jour je fay nouveaux discours ;
Mal contant, mal payé des travaux que j’endure,
Et, lassé de porter une charge si dure,
Je rebelle mon cœur du grand roy des amours.

La raison aussi-tost s’avance à mon secours,
Qui m’ouvre les prisons et guarit ma pointure ;
Libre alors, je maudy sa méchante nature,
Et consens que sa loy n’ait en moy plus de cours ;

Mais, presque au même instant, sans oser me defendre,
Un clin d’œil, un propos, mon oœur, viennent reprendre,
Rechassent ma raison, r’enserrent mes espris ;

Et l’Amour, par vengeance, en rigueur se renforce.
Lors, comme un pauvre serf nouvellement repris,
J’endure, et, tout honteux, de servir je m’efforce.


CHANSON


Celuy que le ciel tout-puissant
Fait d’un cœur ardant en naissant,
Veut que chacun luy obeïsse ;
Mais, bien que son œil vigoureux
M’ait rendu chaud et genereux,
Je n’aime qu’à faire service.

Guerriers, qui, d’un bras glorieux,
Gravez vos faits victorieux