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STANCES


Lors qu’un de vos rayons doucement me blessa,
Et que mon ame libre en prison fut reduite,
Mon cœur, ravi d’amour, aussi-tost me laissa,
Et sans autre conseil se mit à vostre suite ;
Mais, comme un voyageur qui s’arreste pour voir
S’il trouve en son chemin quelque chose nouvelle,
Alors qu’il veit vos yeux, de passer n’eut pouvoir,
Et demeura surpris d’une clarté si belle.

Puis il reprend courage et s’asseure à la fin,
Desireux d’achever l’entreprise premiere.
Soit qu’Amour le guidast, ou son heureux destin,
Ou que vostre œil luisant lui fournist la lumiere :
Hazardeux pelerin, il vient jusques au lieu
Siege de vostre cœur, qu’il embrassa sur l’heure,
Et me dit en riant un éternel adieu,
Ne voulant plus partir de si belle demeure.

Vostre cœur, qui ne veut, plein d’un brave desir,
Souffrir un compagnon, autre empire pourchasse,
Et, delaissant le sien, d’un lieu vient se saisir,
Où nul autre que luy ne pourroit avoir place ;
C’est le roc que mon cœur, plein d’amour et de foy,
Divinement guidé, delaissa pour vous suivre.
Voilà donc comme Amour du depuis nous fait vivre :
Mon cœur est dedans vous, le vostre est dedans moy.


XLIII


J’ay fait de mes deux yeux une large riviere,
Que de vos fiers regards les feux estincelans,
Et de mon estomac les brasiers violans,
Au lieu de la tarir, font devenir plus fiere.

Contre vostre rigueur, je veux, belle meurtriere,
Mettre avec mes soupirs ces pleurs tousjours coulans,
Puis les jetter aux vens ; les vens, courriers volans,
Les porteront en l’air d’une course legere ;

Puis l’élement du feu de l’air les tirera ;
Mais leur humidité pourtant ne tarira,
Car des eaux de mes pleurs la source est éternelle.

Ils viendront jusqu’au ciel ; lors, les Dieux, de pitié,
Puniront vos rigueurs, vengeans mon amitié :
Car ils me feront sage et vous feront moins belle.