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Voyant vos yeux armez de traits,
Se rende prisonnier lui-mesme.


XLI


Cheveux, present fatal de ma douce contraire,
Mon cœur, plus que mon bras, est par vous enchaisné ;
Pour vous, je suis captif en triomphe mené,
Sans que d’un si beau rêt je cherche à me deffaire.

Je sçay qu’on doit fuïr les dons d’un adversaire ;
Toutesfois je vous aime, et me tiens fortuné,
Qu’avec tant de cordons je sois emprisonné,
Car toute liberté commence à me déplaire.

O cheveux, mes vainqueurs, vantez-vous hardiment
D’enlacer en vos nœuds le plus fidelle amant
Et le cœur plus devôt qui fut onc en servage.

Mais voyez si d’amour je suis bien transporté,
Qu’au lieu de m’essayer à vivre en liberté,
Je porte en tous endroits mes ceps et mon cordage[1].


XLII


Aimons-nous, ma deesse, et monstrons à l’épreuve
Qu’une si belle ardeur ne se peut allumer ;
Nostre amour s’en fera d’autant plus estimer,
Qu’en ce tans la constance en peu d’amans se treuve.

Bien que le ciel, l’envie et la fortune pleuve
Sur nous tout ce qu’ils ont d’angoisseux et d’amer,
Jamais ils ne pourront nos cœurs desenflamer ;
Le tans mesme, en passant, rendra nostre amour neuve,

Lisant en vostre cœur, j’y verray mon vouloir ;
Ce sera mesme ennuy qui nous fera douloir,
Et ne garderons rien que nous nous voulions taire.

Nous n’aurons en deux corps qu’un esprit seulement ;
Car l’amour si commune est comme un diamant,
Qui demeure sans prix ès mains du populaire.


  1. Sonnet destiné à mademoiselle de Châteauneuf, maîtresse du duc d’Anjou, depuis Henri III, et composé par Desportes pour lui être offert comme expression des sentiments du prince. Renée de Rieux, demoiselle de Châteauneuf, était née en Bretagne vers 1550. Nous avons raconté son histoire dans la vie de notre auteur. Le sonnet a eu pour modèle un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    O chiome, parte della treccia d’oro
    Di cui fè Amor il laccio, ove fui colto
    Qual semplice augeletto : e da qual sciolto
    Non spero esser mai più, se pria non moro.