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Aussi-tost que le corps est laissé de son ame.

Donc, si c’est une mort, on peut voir clairement
Que celuy ne fut onc éloigné de sa dame,
Qui surnomma douleur un tel éloignement.


XL


Las ! je ne verray plus ces soleils gracieux,
Qui servoient de lumiere à mon ame égarée !
Leur divine clairté s’est de moy retirée
Et me laisse esperdu, dolent et soucieux.

C’est en vain desormais, ô grand flambeau des cieux !
Que tu sors au matin de la plaine azurée,
Ma nuict dure tousjours, et ta tresse dorée,
Qui sert de jour au monde, est obscure à mes yeux.

Mes yeux, helas ! mes yeux, sources de mon dommage,
Vous n’aurez plus de guide en l’amoureux voyage,
Perdant l’astre luisant qui souloit m’esclairer.

Mais, si je ne vois plus sa clairté coustumiere,
Je ne veux pas pourtant en chemin demeurer :
Car du feu de mon cœur je ferai ma lumiere.


CHANSON


Las ! en vous esloignant, ma dame,
Au moins n’emportez point mon ame
Et mon cœur que vous m’avez pris :
Il sied mal à une deesse,
Jeune et belle comme Cypris,
D’estre cruelle et larronnesse.

Huguenots qui courez la France,
De grace, faites-moi vengeance
D’une aussi mauvaise que vous :
Sa main est apprise au pillage,
Et ses yeux, qui feignent les doux,
N’ont plaisir qu’à faire dommage.

Guettez ceste belle meurtriere,
Qu’elle soit vostre prisonniere,
Elle qui met tout en prison ;
Liez ses mains de chaisnes fortes,
Las ! qui m’ont volé ma raison,
L’ayant navrée en mille sortes.

Ainsi donc, ma fiere ennemie,
De ma mort vous serez punie,
Et des torts que vous m’avez faits.
Mais j’ay peur que l’ennemy blesme,