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Quand vous me dédaignez, je crains de vous facher
Et fuy de vos beaux yeux la lumiere infidelle.

Je ne seray jamais importun si je puis,
J’ayme mieux seul à part soupirer mes ennuis :
« L’amy qui m’importune ennemy je l’appelle. »


ÉPIGRAMME


Vous m’avez fait jetter au plus vif de la flame
Un sonnet que du cœur l’Amour m’a fait sortir :
Si c’est pour appaiser les courroux de vostre ame,
La vengeance est petite, il n’en peut rien sentir.
Ah ! non, vous l’avez fait pour sauver votre gloire,
Qui couroit grand péril sans cet embrasement :
Car, en brûlant mes vers, je brûle aussi l’histoire
De vostre tyrannie et de mon long tourment.


XXXVIII


Vous l’aviez inventé, rapporteurs dangereux,
Que celle à qui je suis avoit fait nouveau change,
Et par ce méchant bruit, contraire à sa loüange,
M’aviez comblé l’esprit de soucis douloureux.

Son vouloir est trop ferme, et son cœur genereux,
Amy de la franchise, aisément ne se range ;
Je n’ay que trop connu combien elle est estrange
Et prend peu de pitié des tourmens amoureux.

Avec tant de travaux quatre ans je l’ai servie,
Que la peine à toute autre en eust osté l’envie,
Voyant ses passions si mal recompenser.

Car il faut bien aimer et rien ne se promettre :
Quiconque, à ce voyage, apres moy s’ose mettre,
Ne fera long chemin avant que se lasser.


XXXIX


Ne dites plus, amans, que l’absence inhumaine
Tourmente votre esprit d’un mal demesuré :
Car qui laisse sa dame et s’en voit separé
N’a point de sentiment pour souffrir de la paine.

Ce n’est plus rien de luy qu’une semblance vaine,
Qu’un corps qui ne sent rien, palle et defiguré ;
Son ame est autre part, son esprit égaré
Erre de place en place où son desir le maine.

Celuy qui sent son mal et qui le connoist bien
Est encore vivant : mais on ne sent plus rien,