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XXXV


Jamais fidelle amant n’eut plus douces pensées,
Plus aimables travaux, desirs plus elevez,
Que j’avoy, quand vos yeux, d’inconstance privez,
Tenoient toutes vers moy leurs lumieres dressées,

Quand un seul trait rendoit nos deux ames blessées,
Quand un mesme filet nous tenoit captivez,
Quand d’un mesme cachet nos cœurs estoient gravez,
Ayans perdu devant toutes marques passées.

Quels destins rigoureux, quel horrible meffait
Rend un si ferme nœud soudainement deffait
Et couvre une clairté si luisante et si belle ?

Ma faute et les destins à tort en sont blasmez,
Ce sont des tours communs et tout accoustumez
D’Amour, de la Fortune et d’un sexe infidelle.


XXXVI


Ma vie à un enfer peut estre comparée,
J’ay pour mes trois fureurs mains soucis violans,
Au lieu de noirs serpens le venin distilans,
De jalouses poisons mon ame est devorée.

L’esperance est de moy pour jamais separée,
Comme elle est de ces lieux malheureux et dolans ;
Mes pleurs ont fait un Styx, et mes soupirs brûlans
Du boüillant Plegethon l’ardeur demesurée.

Ma bouche est un cerbere à toute heure abboyant ;
L’infernale valée, en fumée ondoyant,
Ressemble à mon esprit si comblé de tristesse.

Tous les tourmens d’enfer à moy seul sont donnez,
La justice de Dieu tourmente les damnés,
Et je suis tourmenté d’une injuste deesse.


XXXVII


Vostre cœur s’est changé, maistresse, et je l’endure,
Non qu’un boüillant despit ne me rende embrasé ;
Mais pource qu’en aimant je me suis proposé
D’accepter la fortune, ou favorable ou dure.

Je n’ignoray jamais l’heur de mon advanture,
Quand de vostre œil divin j’estoy favorisé ;
Mais aussi mon esprit n’est pas si peu rusé,
Qu’il ne sçache des vents l’inconstante nature.

Je suis tout plein d’amour, quand vous me tenez cher ;