Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Or’ j’ai la face blesme, or’ elle est enflamée,
Or’ je voudroy donner au travers d’une armée,
Or’ je n’ose paroistre et meurs presque de peur.

Vive source d’ennuis, harpye insatiable,
Le tourment de toy-mesme, enragée, incurable,
Portant au chef cent yeux incessamment ouverts,
Ouverts pour nostre mal, clos pour nostre liesse,
Las ! plus je parle à toy, plus tu crois ma tristesse
Et remplis mon esprit de serpens et de vers.

Tu rens mes yeux si clairs, qu’une longue distance
Ne les peut empescher de voir en leur presance
La beauté que j’adore entre dix mille amans ;
Je voy sa blanche main qui de l’un est touchée,
À l’autre elle sourit, sur l’autre elle est couchée,
Et voy qu’elle se plaist en ces contantemens.

Tu fais que mon esprit en cent lieux se transporte,
Mon penser ennemy sur tes ailes se porte,
Pressé d’un aiguillon qui vivement le poind :
Tu fais trouver mon corps où il ne sçauroit estre,
Et reveilles mes sens pour leur faire connoistre
Ce que je voudroy bien qu’ils ne connussent point.

Vous que comme deesse ici-bas je revere,
Si vous avez pitié de ma longue misere,
Et si vous desirez de me voir secourir,
Tuez cette sorciere acharnée à ma perte,
Et de son sang tout chaud oignez ma playe ouverte :
Ce remede tout seul est propre à me guarir.


XXXIV


Celle à qui mes escrits ont donné tant de gloire,
Qu’on l’estimoit unique en sa perfection,
A du tout, comme on dit, changé d’affection,
Et de nos feux premiers enterré la memoire.

Non, non, la glace est chaude et la blancheur est noire,
Le soleil tenebreux, l’air sans mutation,
Le ciel, la peur des dieux, tout n’est que fiction,
Bref, ce qui est n’est point, à rien il ne faut croire.

Je ne croiray plus rien, ou croiray seulement
Que les sens et l’esprit jugent tout faussement,
Et ne jugent de rien qui soit sans imposture.

Je croiray que la femme, et n’en seray blasmé,
Entre tout ce qui est ou fut jamais formé,
Est de la plus changeante et plus fausse nature.