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En vain j’essaye aussi, quelque part que je fuie,
À me garantir d’elle, elle conte mes pas.
En vain, j’ay mon recours aux fortes medecines,
Ce mal ne se guarist par jus ni par racines :
Ains nous fait sans mourir souffrir mille trespas.

Amour, tu es aveugle et d’esprit et de veuë,
De ne voir pas comment ta force diminuë :
Ton empire se perd, tu revoltes les tiens,
Faute de ne chasser une infernale peste,
Qui fait que tout le monde à bon droit te deteste,
Pour ne pouvoir jouyr seurement de tes biens.

C’est de ton doux repos la mortelle ennemie,
C’est une mort cruelle au milieu de la vie,
C’est un hyver qui dure en la verde saison,
C’est durant ton printans une bize bien forte,
Qui fait secher tes fleurs, qui tes fueilles emporte,
Et parmy tes douceurs une amere poison.

Car, bien que quelque peine en aimant nous tourmente,
Si n’est-il rien si doux, ny qui plus nous contente,
Que de boire à longs traits le bruvage amoureux :
Les refus, les travaux, et toute autre amertume
D’absence ou de courroux font que son feu s’allume
Et que le fruit d’amour en est plus savoureux.

Mais, quand la jalousie envieuse et depite
Entre au cœur d’un amant, rien plus ne luy profite ;
Son heur s’évanouist, son plaisir luy desplaist,
Sa clairté la plus belle en tenebres se change :
Amour, dont il chantait si souvent la loüange,
Est un monstre affamé qui de sang se repaist.

Helas ! je suis conduit par cette aveugle rage,
Mon cœur en est saisi, mon ame et mon courage :
Elle donne les loix à mon entendement,
Elle trouble mes sens d’une guerre eternelle,
Mes chagrins, mes soupirs, mes transports, viennent d’elle,
Et tous mes desespoirs sont d’elle seulement.

Elle fait que je hay les graces de ma dame,
Je veux mal à son œil, qui les astres enflame,
De ce qu’il est trop plain d’attraits et de clairté ;
Je voudrois que son front fust ridé de vieillesse ;
La blancheur de son teint me noircist de tristesse,
Et depite le ciel voyant tant de beauté.

Je veux un mal de mort à ceux qui s’en approchent
Pour regarder ses yeux, qui mille amours décochent,
À ce qui parle à elle et à ce qui la suit ;
Le soleil me desplaist, sa lumiere est trop grande,
Je crains que pour la voir tant de rais il espande,