Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Par cent et cent fureurs elle fait outrager.

La miserable Inon, d’Athamas pourchassée,
Portant son fils d’un bras, esperduë, insensée,
S’élança dans la mer et noya ses douleurs :

Et moy, de vos courroux fuyant la violance,
Et portant sous le bras ma debile esperance,
Troublé, je me submerge en la mer de mes pleurs.


XXXIII


Puis que, pour mon malheur, ceste unique beauté,
Que j’aime uniquement, fait aimer tout le monde,
Il ne faut pas penser que l’angoisse profonde,
Qui s’ancre en mon esprit, perde sa cruauté.

Je suis transi de froid au plus chaud de l’esté,
Tant la crainte en mon cœur d’un pié-ferme se fonde,
Le soleil me fait peur, le ciel, la terre et l’onde,
Les vens, les fleurs, les bois, l’ombrage et la clarté.

Las ! si pour la voir telle, une aspre jalousie
Doit posseder mon cœur comblé de frenaisie,
Faites pour mon salut (ô pitoyables dieux !)

Afin que la fureur de ce mal diminuë,
Que ceux qui l’osent voir soient privés de la veuë,
Ou, pour ne les voir point, que je perde les yeux.


DE LA JALOUSIE


Amour à petit feu fait consommer mon ame,
Et m’attaint si souvent des regards de ma dame,
Que je n’ay pas un lieu qui n’en soit tout perçé ;
Helas ! ce n’est pas tout : la froide jalousie
M’envenime l’esprit, trouble ma fantaisie,
Et m’outrage si fort, que j’en suis insensé.

Amour est bien cruel, sa pointure est mortelle,
Mais l’aspre jalousie est beaucoup plus cruelle,
Tout autre mal n’est rien au prix de ce tourment :
Amour, aucunesfois, se lasse de nos peines,
Et soulage nos maux par des liesses vaines,
Mais cette autre fureur nous presse incessamment.

Las ! quand quelque faveur en aimant me contente,
C’est quand la jalousie en mon esprit s’augmente,
Tous les plaisirs d’amour viennent pour ma douleur :
Quand je doy m’égayer, je renforce ma plainte ;
Quand je doy m’asseurer, je soupire de crainte,
Et fay lire mon mal sur ma palle couleur.

En vain je veux flechir par pleurs cette furie,