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Ferme les yeux, ne garde point ta femme :
Le bien permis est le moins desiré.


XXX


J’excuse le mary de celle qui m’a pris
D’estre si defiant, de n’aller point sans elle :
Je voudroy deux cens yeux, de peur d’estre surpris,
Si j’estoy possesseur d’une chose si belle.

Le gouverneur d’un fort, vigilant et fidelle,
Jamais d’un long sommeil n’assoupit ses espris :
Il s’éveille en sursaut, change de sentinelle,
Et craint toujours qu’on ait sur sa place entrepris.

Le maudit usurier, qui sa richesse adore,
Sent, dès qu’il en est loin, qu’un soucy le devore
Et que mille glaçons le transissent de peur.

Hé ! qu’est-ce qu’un tresor, ou qu’une forteresse,
Aupres de la beauté qui fait vivre mon cœur ?
Son mary fait donc bien gardant telle richesse.


XXXI


D’où vient qu’une beauté, qui m’est toujours presente
Au cœur et en l’esprit, n’est presente à mes yeux ?
Et comment fait le ciel, de mon aise envieux,
Que sans vous, ma douleur, tant d’angoisses je sente ?

Plus je suis loin du feu, plus ma flamme est cuisante,
Et mes bouillans desirs plus chauds et furieux :
Et n’y a bois, rocher, ny distance de lieux,
Qui serve à me sauver d’ardeur si violante.

Tu peux luire à ton gré, soleil du firmament,
Pour les autres mortels, mais pour moy nullement :
Ma nuict dure tousjours loin de l’œil que j’adore.

Je voudroy que le ciel me permist sommeiller,
Durant si longues nuicts qui cachent mon aurore,
Puis qu’apres son retour il me fist reveiller.


XXXII


Junon, royne des dieux, de courroux toute plaine,
Ainsi que le despit la faisoit enrager,
Alla jusqu’aux enfers les Fureurs déloger,
Allumant leurs brandons contre Inon la Thebaine.

Une deesse, helas ! beaucoup plus inhumaine,
Sans descendre aux enfers pour de moi se vanger,
Me poursuit, me tourmente, et mon ame mal saine