Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ailleurs on ne la cognoist pas.

Car quel ordre et quelle conduite
De voir en tenebres reduite
Une beauté digne des cieux ?
Et qu’ainsi soit vive enterrée
Celle qui deust estre adorée
De tous ceux qui portent des yeux ?

Aux ours et aux tigres sauvages,
Il faut des treillis et des cages
Pour les garder d’estre nuisans :
Mais la rigueur est trop extrême,
Qui traite une beauté de mesme
Que les animaux mal faisans.

Que n’ay-je tes guides fidelles,
Tes passes et tes colombelles,
Et ton char, divine Cypris,
Afin qu’en despit de l’envie
Je peusse voller à ma vie
Et au lieu qui clôt mes espris !

Mais sans fruit j’invoque en ma paine
Des amours la mere inhumaine,
Recours peu fidele aux amans :
Le ciel est sourd à mes complaintes,
Et toutes ses deïtez saintes
Ne sont que vains amusemens.

La Parque, aux traits inevitables,
Seule est propre aux maux incurables :
Vien donc, ô palle deïté !
Tu n’as autels ni sacrifices :
Mais, si tes dars me sont propices,
Mourant, je loûray ta bonté.


XXIX


Mary jaloux, qui me defens la vuë
De la beauté si bien peinte en mon cœur,
De tes fureurs mon desir prend vigueur,
Et mon amour plus forte continuë.

Plus une place est cherement tenuë,
Plus elle acquiert de loüange au vainqueur :
Plus tu seras vers moy plain de rigueur,
Plus je rendray ma constance connuë.

Quand on ne peut un cœur froid allumer,
Il faut sans plus luy defendre d’aimer :
Tout aussi-tost le voila plain de flamme.

Donc, si tu veux vivre bien asseuré,