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Las ! quand mon ame est plus fort tourmentée,
C’est quand je suis joyeux en apparence,
Couvrant son dueil d’une joye empruntée !

Et toutesfois avec sa violance,
Bien que ma paine en ma face soit painte,
Aucun pourtant n’en a la connoissance.

Helas ! je n’ose alleger d’une plainte
Ni d’un soupir mes malheurs deplorables,
Que je retiens d’une force contrainte.

Cessez vos cris, amoureux miserables :
Tous les tourmens de l’amoureuse flame
A mes tourmens ne sont point comparables.

C’est un grand mal de couver dedans l’ame
Le chaud desir et la vive estincelle,
Qui se nourrit des beaux yeux d’une dame.

C’est un grand mal de la servir cruelle,
Et toutesfois, pour le mal qu’on supporte,
On a plaisir quand on la voit si belle.

C’est un grand mal d’aimer de telle sorte,
Qu’on n’ose pas descouvrir son martire,
Pour un respect que la grandeur apporte.

C’est un grand mal, et qui ne se peut dire,
Que d’estre serf d’une dame volage,
Qui sans repos la nouveauté desire.

C’est un grand mal, voire une extrême rage,
Quand Jalousie avec Amour s’assemble,
Troublant les cœurs d’un violant orage.

Et toutesfois tous ces maux mis ensemble
N’approchent point de ma griéve tristesse,
Qui seulement à soy seule ressemble.

Las ! ma douleur seulement ne me blesse,
L’ire du ciel n’en seroit assouvie,
Mais la douleur de ma belle maistresse.

Celle qui m’est plus chere que la vie
Est (ô regret !) durement affligée
D’un faux jaloux, plein de haine et d’envie.

Et ce qui rend mon ame plus chargée,
C’est que son mal de mon malheur procede,
Sans que je puisse, en la rendant vangée,
Vanger ma mort et luy donner remede.


COMPLAINTE


La terre, nagueres glacée,
Est ores de vert tapissée ;
Son sein est embelly de fleurs,