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Et sans plus depiter je beniroy les cieux.

O jour bien fortuné ! jour clair et radieux,
Où de tant de beautez mon œil eut jouyssance,
Que le seul souvenir chasse au loin ma souffrance,
Et d’un homme mortel me rend égal aux dieux.

Je vey dans un beau sein, sur deux fraises nouvelles,
Amour, comme une abeille, errer d’un vol soudain,
Laissaut dedans les cœurs mille pointes mortelles.

Je le vey, le méchant, le meurtrier, l’inhumain !
Oh ! si l’on m’eust permis d’y mettre un peu la main,
Je l’eusse bien puny de mes peines cruelles.


SONGE


Celle que j’aime tant, lasse d’estre cruelle,
Est venuë en songeant la nuict me consoler :
Ses yeux estoient rians, doux estoit son parler,
Et mille et mille amours voloient à l’entour d’elle.

Pressé de ma douleur, j’ay pris la hardiesse
De me plaindre à hauts cris de son cœur endurcy,
Et d’un œil larmoyant luy demander mercy,
Et que mort ou pitié mist fin à ma tristesse.

Ouvrant ce beau coral qui les baisers attire,
Me dist ce doux propos : Cesse de soupirer,
Et de tes yeux meurtris tant de larmes tirer,
Celle qui t’a blessé peut guarir ton martire.

O douce illusion ! ô plaisante merveille !
Mais combien peu durable est l’heur d’un amoureux.
Voulant baiser ses yeux, helas ! moy, malheureux !
Peu à peu doucement je sens que je m’éveille.

Encor long-tans depuis, d’une ruse agreable,
Je tins les yeux fermez et feignois sommeiller :
Mais, le songe passé, je trouve au réveiller
Que ma joye étoit fausse et mon mal veritable.


RYMES TIERCES


Pleurs et soupirs, je vous ouvre la porte,
Allez trouver la beauté que j’admire,
Plaignez sa peine et ma douleur trop forte ;

Faites luy voir ce que je n’ose dire :
Puis que le ciel envieux et contraire
Ne me permet ce que plus je desire.

Plaignez l’ennuy qui fait que je n’espere
Pour tout salut qu’une mort souhaitée,
Heureux repos de ma longue misere.