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Main qui sur tes beautez as fait l’œil envieux,
Main qui sçais triompher des plus audacieux,
Et qui rens de mon cœur les tempestes sereines :

Las ! ne t’oppose point, ô belle et blanche main,
Quand je cherche, embrasé, le secours de mes peines,
Qu’une ingrate me cache en la bouche et au sein.


XXVI


Chassez de votre cœur l’injuste cruauté
Qui vous rend contre Amour fierement obstinée,
Et n’estimez jamais qu’une dame bien-née
Puisse avoir sans aimer quelque felicité.

Mais que vous servira ceste fleur de beauté,
De jeunesse et d’amour richement couronnée,
Si, sans estre cueillie, elle devient fennée
Et perd sa desirable et chere nouveauté ?

Il ne suffist d’avoir un champ gras et fertile,
Car, s’il n’est labouré, c’est un friche inutile ;
La terre en devient dure et ne rapporte rien.

Celle qui ne se sert de sa belle jeunesse
Fait comme un usurier, qui cache sa richesse
Et se laisse mourir sans user de son bien.


XXVII


Si vous m’aimez, madame, helas ! si vous m’aimez,
Et si le trait d’Amour comme moy vous entame,
Donc ainsi comme moy vous sentez dedans l’ame,
Aux esprits et au cœur, cent fourneaux allumez.

Hé ! pourquoy souffrez-vous que soyons consumez,
Servans de nourriture à l’amoureuse flame ?
N’est-ce une grand’ rigueur, si vous pouvez, madame,
Moderer cette ardeur qui nous tient enflamez ?

Nous sentons bien tous deux une égale souffrance,
Mais de nous en sortir seule avez la puissance ;
Encor vous ne voulez nos langueurs secourir !

C’est estre en mesme tans cruelle et miserable,
De nourrir un tourment dont on se peut guarir,
Et, pour n’aider autruy, ne s’estre secourable.


XXVIII


Hé ! que n’est-il permis, aussi bien qu’à mes yeux,
À tous mes autres sens d’exercer leur puissance ?
L’accez qui m’affoiblit perdroit sa violence,