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Non, il n’en sera rien, beauté trop inhumaine,
J’ay soin de mon salut, dont vous n’avez soucy.

Par vos feintes douceurs ne sortans point de l’ame,
Quand vous m’avez rendu tout de soulfre et de flame,
Vous pensez-vous mocquer d’Amour et de ma foy ?

Mais vos deguisemens forçent ma patience,
Vostre froid mon ardeur, les tourmens ma constance :
Je ne puis estre à vous si vous n’estes à moy.


XXI


Vous le voulez, et j’ay trop de coustume
De vous servir pour ne le faire pas :
Sors, traistre amour, tourne arriere tes pas ;
Tu me brûlois, le dedain te consume.

Si jamais plus vostre beauté m’allume,
Yeux qui pleuvez des traits et des appas,
Ma flamme esteinte, et qui seulement fume,
Revive encor pour mon cruel trespas.

Malgré ma dame et malgré que j’en aye,
Qu’à chauds boüillons tousjours saigne la playe
Qu’elle me fit à ses pieds estendu.

Je sens ma braise en glaçons convertie,
Mon cœur tout sien comme elle elle a rendu :
Tousjours le tout se suit de sa partie.


XXII


Encor aucunefois, cet archer decevant
Au combat me desfie et tasche à me reprendre
Avec des yeux trompeurs, qui, sous ma vieille cendre,
Font revivre des feux brûlans comme devant.

Mais la nuict solitaire, à mon aide arrivant,
Fait qu’en moy je retourne et me mets à comprendre
Le mal qui m’est prochain : parquoy, sans plus attendre,
Tous ces brasiers je plonge en Lethés bien avant.

Comme un petit oyseau j’approche de la proye,
Puis la peur des gluaux me fait prendre autre voye,
J’y revien, je la laisse, et fay maint et maint tour.

J’ose et je n’ose pas, je m’arreste et galope ;
Bref, j’ourdis une toile ainsi que Penelope,
Dont je desfay la nuict ce que j’ay fait le jour.


XXIII


Puis que mon plus bel âge, en servant despensé,
Puis que ma loyauté, mon ardeur, ma tristesse,