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Cessons donc de l’aimer, et, pour nous en distraire,
Tournons ailleurs nos pas.
Mais peut-il estre vray que je le veuille faire ?
Non, je ne le veux pas.


CHANSON


Je ne veux jamais plus penser
De voir un jour recompenser
Le mal qu’en aimant je supporte,
Puis que celle qui tient mon cœur
Me monstre une extrême rigueur,
Parmy l’amour qu’elle me porte.

Mais pourroy-je esperer aussi
Qu’elle eust jamais de moy mercy,
Veu qu’à soy-mesme elle est cruelle,
Se privant des plus doux plaisirs,
Meurtrissant ses propres desirs
Et perdant sa saison nouvelle ?

Cruelle, où avez-vous les yeux ?
Voyez ce printans gracieux ;
Voyez ceste belle verdure,
Un jour des prochaines chaleurs
Fera languir toutes ces fleurs,
Ores beautez de la nature.

Si le tans leger et coulant
Devore tout en s’envolant,
S’il rend toute chose effacée,
Est-ce pas trop de cruauté,
De laisser perdre une beauté
Si chere et si soudain passée ?

Si c’est la peur qui vous retient,
Pensez que la crainte ne vient
Qu’à faute d’amitié parfaite.
Amour est une vive ardeur,
Et la crainte est une froideur,
Soudain par vraye amour desfaite.

Si ma foy vous fait differer,
Qui vous en peut mieux asseurer
Que vostre œil qui lit dans les ames ?
Helas ! aimay-je ardantement ?
Quand je parle à vous seulement,
Il sort de ma bouche des flames.

Si vous m’aimez, faites le voir,
Sans plus mes douleurs decevoir,
Les entretenant d’esperance ;