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Si tous les songes ne sont rien,
C’est tout un, ils me plaisent bien :
J’aime une telle tromperie.
Haste-toy donc, pour mon confort ;
On te dit frere de la Mort,
Tu seras pere de ma vie.

Mais, las ! je te vay appelant,
Tandis la nuict en s’envolant
Fait place à l’aurore vermeille :
O Amour ! tyran de mon cœur,
C’est toi seul qui par ta rigueur
Empesches que je ne sommeille.

Hé ! quelle estrange cruauté !
Je t’ay donné ma liberté,
Mon cœur, ma vie et ma lumiere,
Et tu ne veux pas seulement
Me donner pour allegement
Une pauvre nuict toute entiere ?


XV


Yeux, qui guidez mon ame en l’amoureux voyage,
Mes celestes flambeaux, benins et gracieux,
C’est vous qui fournissez de traits victorieux
Amour, ce grand archer, seul dieu de mon courage.

C’est vous qui me rendez contant en mon servage,
C’est vous qui m’enseignez le beau chemin des cieux.
Vous purgez mon esprit de pensers vicieux
Et retenez mon cœur autrefois si volage.

Vous pouvez d’un clin d’œil faire vivre et mourir,
Faire au mois de janvier un doux printans fleurir,
Voire au fort de la nuict la lumiere nous rendre.

Vous estes le soleil qui me donnez le jour,
Et je suis le pbœnix qui se brûle alentour ;
Puis, quand je suis brûlé, je renais de ma cendre.


XVI


Au saint siege d’Amour, des grands dieux le vainqueur,
J’ay fait venir plaider ceste beauté rebelle,
Et l’accuse, en pleurant comme une criminelle,
De vol, d’ingratitude et d’injuste rigueur.

Helas ! Amour (ce dy-je), elle a vollé mon cœur
Et ne reconnoist point mon service fidelle ;
Elle m’a traversé d’une fleche mortelle
Et me fait consommer en cruelle langueur.