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Où je tiens la teste appuyée :
Je suis dans mon lict sans mouvoir,
Pour mieux la douceur recevoir,
Douceur dont la peine est noyée.

Haste-toy, Sommeil, de venir :
Mais qui te peut tant retenir ?
Rien en ce lieu ne te retarde,
Le chien n’abbaye icy autour,
Le coq n’annonce point le jour,
On n’entend point l’oye criarde.

Un petit ruisseau doux coulant
A dos rompu se va roulant,
Qui t’invite de son murmure ;
Et l’obscurité de la nuit,
Moête, sans chaleur et sans bruit,
Propre au repos de la nature.

Chacun, fors que moy seulement,
Sent ore quelque allegement
Par le doux effort de tes charmes :
Tous les animaux travaillés
Ont les yeux fermés et sillés,
Seuls les miens sont ouverts aux larmes.

Si tu peux, selon ton desir,
Combler un homme de plaisir
Au fort d’une extrême tristesse,
Pour monstrer quel est ton pouvoir,
Fay-moy quelque plaisir avoir
Durant la douleur qui m’oppresse.

Si tu peux nous representer
Le bien qui nous peut contenter,
Separé de longue distance.
O somme doux et gracieux !
Represente encor à mes yeux
Celle dont je pleure l’absance.

Que je voye encor ces soleils,
Ces lys et ces boutons vermeils,
Ce port plain de majesté sainte ;
Que j’entr’oye encor ces propos.
Qui tenoient mon cœur en repos,
Ravi de merveille et de crainte.

Le bien de la voir tous les jours
Autrefois estoit le secours
De mes nuicts, alors trop heureuses :
Maintenant que j’en suis absant,
Ren-moy par un songe plaisant
Tant de délices amoureuses.