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Quelle autre a cet esprit qui le mien a charmé
Ces propos, ces discours dont je fus transformé ?
Où sont tant d’hameçons, d’amours, de feux, de glaces ?

Souffrons donc sans blaspheme un extrême tourment,
Croyant qu’on ne sçauroit qu’aimer extrêmement
Celle qui est extrême en beautez et en graces[1].


XIV


Malheureux que je suis ! je vous soulois descrire
Mon naturel leger jamais ne s’arrestant,
Prenant à grand honneur que je fusse inconstant,
Et, tel comme j’estois, me plaisant à le dire.

Maintenant que vostre œil sans pitié me martire,
Ma nouvelle douleur d’heure en heure augmentant,
Je maudy mon offense, honteux et repentant,
Et trop tard pour mon bien je cherche à m’en dedire.

Quel confort ? quel remede ? Amour, conseille-moy :
Pourra-t-elle jamais s’assurer de ma foy,
M’ayant connu devant si leger de courage ?

Helas ! mon inconstance à sa gloire a esté,
Car quel plus grand honneur que d’avoir arresté
Celuy qui s’asseuroit d’estre tousjours volage ?


PRIERE AU SOMMEIL


Somme, doux repos de nos yeux,
Aimé des hommes et des dieux,
Fils de la Nuict et du Silence,
Qui peux les esprits delier,
Qui fais les soucis oublier,
Endormant toute violence.

Approche, ô Sommeil desiré !
Las ! c’est trop longtans demeuré,
La nuict est à demi passée,
Et je suis encor attendant
Que tu chasses le soin mordant,
Hoste importun de ma pensée.

Clos mes yeux, fay-moy sommeiller,
Je t’atten sur mon oreiller,

  1. Traduction d’un sonnet italien qui débute par cette strophe :

    Hanno ben gl’ occhi, l’ altre Donne anco elle,
    Di far guardando innamorar le genti ;
    Ma non han, come questa, i raggi ardenti,
    Ch’ occhi non son, mà fiammegianti stelle.