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Laisse faire à mes yeux : ces ruisseaux que je pleure
Esteindront le fourneau dans mon cœur allumé.

Mais c’est trop vainement qu’en espoir je me fonde,
L’eau n’esteint pas l’amour : Neptune au creux de l’onde
S’est trouvé mille fois amoureux et brûlant.

Sus donc, ardans soupirs, monstrez votre puissance,
Rendez mon feu plus chaud, croissez sa vehemence.
Il en durera moins s’il est plus violant[1].


XII


Si le mary jaloux de la belle Cypris,
Qui forge à Jupiter le tonnerre et l’orage,
Forgeoit les traits d’Amour, il eust maudit l’ouvrage
Et quitté, tout lassé, son labeur entrepris.

Car ce cruel volleur des cœurs et des espris,
Nourry d’une tigresse en quelque lieu sauvage,
De mille coups mortels ne contente sa rage,
Et fait tousjours des cœurs sa victoire et son prix.

On perd tans contre luy de se mettre en deffance :
Un homme n’est pour faire à un dieu resistance,
Mesme un dieu si puissant, qu’il surmonte les dieux.

Maudits soient tous ses traits et leur puissance forte !
Helas ! j’en suis couvert en tant et tant de lieux,
Que cet aveugle archer pour sa trousse me porte[2].


XIII


Je sçay qu’ell’ ont des yeux, les autres damoiselles,
Pour rendre en regardant maint et maint amoureux,
Mais non pas des soleils ardans et vigoureux,
Qui remplissent les cœurs de flammes immortelles.

J’avouë et veux penser qu’il y en a de belles
Assez pour travailler un esprit desireux :
Mais quelle autre a ses traits si doux et rigoureux,
Qui font gouster la vie entre cent morts cruelles ?

  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par ces vers :

    Lasso ! non basta ch’ io ardo ? che l’immenso
    Foco che me distrugge inforza ancora ?
    Che i sospir, che soffiando escono ogn’ hora,
    Il fanno al suo furor più fermo e intenso.

  2. Imité d’un sonnet italien qui débute par cette strophe :

    S’ el zoppo che al gran Giove i strali affina,
    Fabro fusse d’Amor, gia haveria Bronte
    E’ gli altri che un solo occhio hanno in la fronte
    Per fastidio lasciata la fucina.