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Je n’enten rien qui n’offense mes sens,
Et par le temps mes douleurs ne s’apaisent.

Tu as beau faire, ô soleil ! ta reveuë,
Enflammant l’air d’amoureuse clairté,
Tu ne sçaurois chasser l’obscurité.
Qui m’environne et qui couvre ma veuë.

Tu luis par tout, fors que dedans mon ame,
Mais dedans moy tu n’as point de pouvoir :
Nulle clairté je ne puis recevoir
S’elle ne vient des beaux yeux de ma dame.

Rien ne s’égale à ma dure souffrance,
Belle Diane, et j’atteste vos yeux
Que mon trespas me plairoit beaucoup mieux
Aupres de vous, que vivre en vostre absence.

Mais on ne meurt d’une extrême tristesse,
Bien que l’esprit soit du corps separé :
S’il estoit vray, je n’eusse tant duré,
Et par ma fin ma douleur eust pris cesse.

Comme des monts les ombrages descendent,
Quand le soleil loin de nous se depart,
Si mon soleil tourne ailleurs son regart,
Mille frayeurs dans mon ame s’espandent.

Le desespoir aussi-tost s’en rend maistre,
Rien ne sçauroit contre luy m’asseurer,
Et les pensers qui me font soupirer,
D’un soucy mort cent mille en font renaistre.

Helas ! perdez ceste rage importune,
Hostes cruels des esprits angoissez :
Je sçay mon mal et le connois assez,
J’ay trop d’amour et trop peu de fortune.

Soit que Phœbus environne la terre,
Soit que la nuict mette fin à son cours,
Obstinément vous me pressez tousjours :
Je suis le champ où vous faites la guerre.

L’un veut troubler l’espoir dont je me flate,
L’autre combat ma constance et ma foy,
L’autre soustient que je ne suis plus moy,
M’estant perdu pour gaigner une ingrate.

L’autre me dit qu’en vain je m’encourage,
Dessus l’arene ayant fait fondement,
Et que son cœur se change incessamment,
Comme un miroir qui reçoit toute image.

Tais-toy, penser, je sçay bien le contraire,
Et sens nos feux trop vivement épris :
Amour, qui fist les nœuds de nos espris,
Quand il voudroit, ne les sçauroit desfaire.