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Dont il faut qu’à regret sans cœur je me retire ;
Tu vois tous les trésors de l’amoureux empire
Et reçois tous les biens dont je suis desireux.

Tu couches tous les soirs aupres de ma deesse,
Mais, las ! en y pensant, ce souvenir me blesse,
Je suis de jalousie ardemment allumé.

Car, hé ! que sçay-je, moy, si l’Amour par cautelle
S’est point ainsi luy-mesme en livre transformé,
Pour luy baiser le sein et coucher avec elle ?


VI


Privé des doux regards, qui mon ame ont ravie
Et la vont nourrissant de mille et mille appas,
Je vy trop mal-heureux : mais non, je ne vy pas,
Ou je vy d’une vie à cent morts asservie.

Las ! je vy voirement, mais c’est mourant d’envie
De voir mourir mes maux, qui jamais ne sont las :
Aussi bien puis-je vivre entre tant de trespas,
Sans cœur, sans mouvement, sans lumiere et sans vie.

Je ne vy point ; si fay : car, s’il n’estoit ainsi,
Sentiroy-je, estant mort, tant d’amoureux soucis,
Tant de feux, tant de traits, qui tourmentent mon ame ?

Quoy donc ? je vy sans cœur contre l’humaine loy :
Non, non, je ne vy point, je suis mort dedans moy ;
Hélas ! si fay, je vy, mais c’est en vous, madame.


PLAINTE


En quel desert, quel bois ou quel rivage,
Amour vollant, me pourroy-je sauver,
Pour t’empescher de me venir trouver
Et m’affranchir de ton cruel servage ?

Las ! je pensoy, evitant l’influence
De ces beaux yeux, aux rayons si nuisans,
Que mes brasiers en seroient moins cuisans
Et que mon mal perdroit sa violence.

Mais c’est en vain qu’ainsi je me destourne
Par les halliers plus fascheux à passer,
Car je m’emporte, et je me dois laisser ;
Partant du pied, du penser je retourne.

Plus je suis loin, plus mon desir s’allume,
Je ne puis plus ses efforts endurer.
Jugez, amans, si je dois esperer,
Plus loin du feu, plus fort je me consume.

Je ne voy rien qu’objets qui me desplaisent ;
Toute clairté rend mes yeux languissans ;