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En luy voyant d’un valet faire conte.

Que toute nuict à son huis je lamente,
Et qu’elle soit à se mocquer de moy ;
Aux bras d’un autre heureusement contente.

Qu’un chaud martel, qu’une aspre jalousie
De cent fureurs recompensent ma foy,
Et que tousjours mon ame en soit saisie.

Que mon teint pasle et mon visage blesme,
De tant d’ennuis maigre et defiguré,
Me soit horrible et m’étonne moy-mesme.

Que le soleil à regret me regarde,
Bref, que le ciel, contre moy conjuré,
Pour mon salut ma mort mesme retarde.

Mais, si d’Amour la sagette meurtriere
Ne me peust plus désormais entamer,
O justes dieux ! accordez ma priere !

Qu’en peu de jours cet œil, mon adversaire,
Flambeau d’amour qui m’a fait consumer,
Perde sa flame et sa lumiere claire ;

Que ses cheveux, dont mon ame fut prise,
Laissent son chef, apres avoir changé
Leur couleur d’or en une couleur grise.

Que de ses mains son miroir elle rompe,
Voyant sa face, et que je sois vangé
De ce crystal qui maintenant la trompe.

Qu’elle ait regret à sa jeunesse folle,
Et qu’elle apprenne, helas ! trop cherement,
Que la beauté comme le vent s’envolle.

Lors sans danger, sans douleur et sans crainte,
Je me riray d’avoir si longuement
A la servir ma liberté contrainte.

Puis je prendray sa vaine repentance
Et ses soupirs pour heureux payement
De mes douleurs et de son arrogance.


LXIX


VŒU AU DEDAIN


Puis que par ton secours mon brasier est estaint,
Et qu’avec la raison ma volonté je donte,
Dedain, maistre d’Amour, le dieu qui tout surmonte,
J’appen ces hameçons devant ton temple saint.

J’appen ces traits brisez dont mon cœur fut attaint,
J’appen ces nœuds dorez dont j’ay tant fait de conte,
J’appen ces tristes vers, messagers de ma honte
J’appen ces pesans fers qui long-tans m’ont étraint.