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Dans un cœur amoureux, qu’on n’en voit tout ensemble
Aux plus creux des enfers les esprits tourmenter.

Je n’auray jamais fait, si je veux entreprendre
De ce bourreau cruel les rigueurs faire entendre,
Rigueurs qui chacun jour se font assez sentir :
Il est assez connu, sa rage est manifeste,
Mais, helas ! c’est le pis qu’un chacun le deteste,
Et ne peut ou ne veut de luy se garantir.

Or de moy qui le puis, et qui me delibere
D’estre franc pour jamais d’une telle misere,
Je pren congé d’Amour et de ses feux cuisans :
Adieu, Amour, adieu, enfant plein de malice,
Adieu l’Oysiveté, ta mere et ta nourrice,
Adieu tous ces escrits où j’ay perdu mes ans.

Je pren congé de vous, amoureuses pensées ;
Je pren congé de vous, nuicts vainement passées,
Discours, propos, sermens, l’un sur l’autre amassez ;
Et vous, tristes sanglots que ma poitrine excite,
Plaintes, pleurs et regrets, je vous donne la fuitte,
Bien marri que plus tost je ne vous ay laissez.

Bien-heureuse Raison, royne de mon courage,
Pour m’avoir garanty de l’amoureux naufrage,
Lorsque j’estoy privé de tout humain secours,
Je t’appen en ce lieu ma robe despoüillée,
Des flots de la tempeste encor toute moüillée,
Ayant à l’advenir devers toy mon recours.


RYMES TIERCES


Si jamais plus ma liberté j’engage
Au faux Amour, jadis roy de mon cœur,
Que je languisse en eternel servage.

Si jamais plus son feu brûle mon ame,
Que je n’esprouve en aimant que rigueur,
Et que mes pleurs fassent croistre ma flame.

Si jamais plus une beauté mortelle
Tient mon esprit en la terre arresté,
Que mon mal serve à la rendre plus belle.

Si jamais plus pour ses yeux je soupire,
Que mes soupirs croissent sa cruauté
Et de mes cris ne se fasse que rire.

Qu’elle soit folle, inconstante et volage,
Que j’en enrage, et qu’en me despitant
De la laisser je perde le courage.

Que de l’aimer je rougisse de honte,
Et toutesfois que je luy sois constant,