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L’un çà, l’autre delà, chacun à qui mieux mieux ;
De ses cuisans regrets le ciel il importune,
Il resve, il se despite, il maudit sa fortune,
Noyant toute esperance au torrent de ses yeux.

S’il s’endort quelquesfois, aggravé de tristesse,
Helas ! par le dormir sa douleur ne prend cesse,
Mais plus fort que devant il se sent travailler ;
Car au premier sommeil les songes l’espouvantent,
Et mille visions à ses yeux se presentent,
Qui le font en sursaut rudement éveiller.

Ou si le corps vaincu du travail et du somme
Ne se réveille point, et qu’un dormir l’assomme,
Le cœur qui n’a repos ne fait que soupirer,
L’esprit tremble et fremit de la frayeur horrible,
L’ame crie et se plaint pour sa douleur terrible,
Et les yeux entr’ouvers ne cessent de pleurer.

Le jour est-il venu ? sa douleur recommence,
Il deteste le bruit, il cherche le silence ;
La clairté lui desplaist, et la voûte des cieux,
Le murmure des eaux, la fraischeur des ombrages,
Herbes, rives et fleurs, forests, prez et boccages ;
Et ne sçauroit rien voir qui contente ses yeux.

Amour, quiconque fut qui te mit de la race
De ce debat confus, lourde et pesante masse[1],
Il parloit sagement et disoit verité,
Car, las ! qui veit jamais confusion si grande
Qu’aux miserables lieux où ton sceptre commande,
Tousjours rouge de sang, d’ire et de cruauté ?

C’est pitié que d’ouïr les estranges merveilles,
Les miracles divers, les douleurs nompareilles
Et les cris de ses foux travaillez sans repos :
L’un dit que l’esprit seul a gaigné sa pensée,
L’autre accuse des yeux, l’autre a l’ame insensée
Pour des cheveux trop beaux ou de trop doux propos.

L’un sera captivé par une larme feinte,
Et à l’autre un beau teint donne mortelle atteinte ;
L’un transira de froid, l’autre mourra de chaud ;
L’un compare aux rochers celle qui le tourmente,
L’autre fait de sa dame une lune inconstante ;
L’un se plaint d’aimer bas, l’autre d’aimer trop haut.

Ainsi, dans les enfers, les ombres criminelles
Se pleignent vainement de leurs paines cruelles
Et des tourmens divers qu’il leur faut supporter ;
Mais, las ! je croy qu’Amour plus de tourmens assemble

  1. Quiconque l’assimile au chaos.