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J’en ay fait, à ma honte, une trop longue espreuve,
Honte, le seul loyer des travaux que j’ai pris.

Je ne me puis tenir de remettre en memoire
Ce tans, que cet aveugle, ennemy de ma gloire,
Possedoit mon esprit, yvre de son erreur ;
Et pensant de mes faits l’estrange frenaisie,
Presqu’il ne peut entrer dedans ma fantasie
Que j’aye esté troublé d’une telle fureur.

Ores j’estoy craintif, ores plein d’asseurance,
Ores j’estoy constant, ores plein d’inconstance ;
Ores j’estoy contant, or’ plein de passions ;
Or’ je desesperoy d’une chose asseurée,
Puis je me tenoy seur d’une desesperée,
Peignant en mon cerveau mille conceptions.

Quantes fois par les prez, les bois et les rivages,
Ay-je conté ma peine aux animaux sauvages,
Comme s’ils eussent peu mes douleurs secourir !
Les antres pleins d’effroy, les rochers solitaires,
Les desers separez estoient mes secretaires,
Et, leur contant mon mal, je pensoy me guarir.

Quantes fois plus joyeux ay-je allegé ma paine,
Me laissant endormir d’une esperance vaine,
Qui, s’envollant en songe, augmentoit mon tourment !
Combien de mes deux yeux ay-je versé de pluie ?
Et combien de bon cœur ay-je maudit ma vie,
Me forgeant sans raison un mescontentement ?

Celuy qui veut couler les douloureuses paines,
Les regrets, les soucis, les fureurs inhumaines,
Les remords, les frayeurs qu’on supporte en aimant,
Qu’il conte du printans la richesse amassée,
Les vagues de la mer quand elle est courroussée,
Et par les longues nuits les yeux du firmament.

Le forçat enchaisné quelquesfois se repose,
Le pauvre prisonnier, dedans sa prison close,
Clost quelquesfois les yeux et soulage ses maux ;
Au soir le laboureur met ses bœufs en l’estable,
Et, doucement forcé d’un sommeil agreable,
Remet jusques au jour sa peine et ses travaux.

Seulement le chetif qui couve en sa pensée
Le poignant aiguillon d’une rage insensée
Ne sent point de relasche entre tant de malheurs :
Si le jour le faschoit, la frayeur solitaire
Et le silence coy r’entament sa misere,
Renveniment sa playe et frappent ses douleurs.

Est-il dedans le lict ? les pensers qui l’assaillent,
Mutins et furieux, sans repos le travaillent :