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Amour, tyran cruel, monarque de martire,
La seule occasion qui fait que l’on soupire,
Oracle de mensonge, ennemy de pitié,
Large chemin d’erreur, barque mal asseurée,
Temple de trahison, foy de nulle durée,
Bref en tous tes effets contraire à l’amitié ;

Amour, roy des sanglots, prison cruelle et dure,
Meurtrier de tout repos, monstre de la nature,
Bruvage empoisonné, serpent couvert de fleurs,
Sophiste injurieux, artisan de malice,
Passagere fureur, exemple de tout vice,
Plaisir meslé d’ennuis, de regrets et de pleurs ;

Amour, que dy-je, amour ? mais inimitié forte,
Appetit dereglé, qui les hommes transporte,
Racine de malheur, source de déplaisir,
Labirinthe subtil, passion furieuse,
Nid de déception, peste contagieuse,
Entretenu d’espoir, de crainte et de desir ;

Si tost que nostre esprit s’abandonne à te suivre,
Helas ! presque aussi tost nous delaissons de vivre,
Nous mourons sans mourir, nous perdons la raison,
Nous changeons à l’instant nostre forme premiere.
Nos yeux chargez d’erreur sont privez de lumiere,
Et n’avons pour logis qu’une obscure prison.

Tu romps l’heur de la vie avec mille traverses,
Tu rechanges nos cœurs de cent sortes diverses,
Boüillans et refroidis, craintifs et genereux :
Or’ nous vollons au ciel sans partir de la terre,
Or’ nous avons la paix, or’ nous avons la guerre,
Et n’avons rien de seur que d’estre mal’heureux.

S’il advient quelquefois que parmy nos destresses
Tu mesles rarement quelques fausses liesses,
Ce n’est pas qu’il te plaise alors nous contenter,
Ce n’est pas que nos pleurs plus doux t’ayent pu rendre ;
Mais afin que la peine, en nous venant reprendre,
Nous soit plus difficile et forte à supporter.

Tout ce qu’on peut apprendre en tes vaines escoles,
Ce sont des trahisons, des feintes, des paroles,
Escrire dessus l’onde, errer sans jugement,
Suivre en la nuict trompeuse une idole fuitive,
Faire guerre à son ame et la rendre captive,
Et pour se retrouver se perdre folement.

Les fruits qu’on en reçoit pour toute recompense,
C’est d’un long tans perdu la vaine repentance,
Un regret desvorant, un ennuyeux mepris :
Helas ! j’en puis parler, je say comme on s’en treuve,