Baiser son front, sa bouche et ses yeux pleins de flame ;
Non, il n’est rien si doux que l’estat d’un amant.
Mais si, durant le tans qu’elle nous favorise,
Un rigoureux depart nous force à la laisser,
Quelle extrême douleur peut la nostre passer ?
Il est donc bien-heureux, qui garde sa franchise.
Encor on se contente en cet esloignement,
Car l’esprit s’entretient de douces souvenances,
On pense à la revoir, on se paist d’esperances :
Il n’est donc rien si doux que l’estat d’un amant.
Mais apres le retour trouver sa place prise,
Luy voir le cœur changé, n’estre plus reconnu,
Et se voir delaissé pour un nouveau venu :
Est-il pas plus heureux qui garde sa franchise ?
Vous qui goustez d’amour le doux contentement,
Chantez qu’il n’est rien tel que l’estat d’un amant ;
Vous qui la liberté pour deesse avez prise,
Chantez qu’il n’est rien tel que garder sa franchise.
CONTR’AMOUR
Ce malheureux Amour, ce tyran plein de rage,
Qu’ils estfait si long-tans vainqueur de mon courage,
Qui m’a troublé les sens, qui m’a fait égarer,
Sans plus bagner sa plume au ruisseau de mes larmes,
Est contraint, tout confus, de me quitter les armes
Et chercher autre lieu propre à se retirer.
Ma raison s’est renduë à la fin la maistresse,
Et, pour me faire voir ma faute et la finesse
De ce traistre enchanteur, m’a débandé les yeux.
Ce qui fait qu’à part moy je rougisse de honte,
Voyant un petit nain dont j’ay tant fait de conte
Et que j’ay reveré comme un des plus grands dieux.
Je connoy mon erreur, je connoy la folie
Qui, profonde, a tenu mon ame ensevelie ;
Je connoy les flambeaux dont je fus embrasé,
Je connoy le venin qui troubla ma pensée,
Et regrette en pleurant ma jeunesse passée,
Maudissant le pipeur qui m’a tant abusé.
Que mon cœur, que ma voix, que mon esprit se change.
Au lieu de tant d’escrits sacrez à la loüange,
Cependant qu’un chaud-mal me rendoit insensé,
Que mon vers desormais deteste sa puissance,
Afin que pour le moins chacun ait connoissance
Que je n’ay pas grand’ peur qu’il en soit offencé.