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Et luy, me prenant à l’emblée,
De maux a mon ame comblée,
Et me fait mourir peu à peu.

L’un d’eux des honneurs se propose,
L’un des biens, l’autre plus grand’chose,
L’autre un paradis bien-heureux ;
Les biens, les honneurs et l’empire,
Et le paradis où j’aspire,
C’est d’estre tousjours amoureux.


PLAINTE


Quand je pense aux plaisirs qu’on reçoit en aimant,
Et que le feu d’amour est une vive flame,
Qui fait mouvoir l’esprit et qui réveille l’ame,
Rien ne me plaist si fort que l’estat d’un amant.

Mais, quand je voy qu’Amour ses sujets tyrannise,
Qu’il les tient prisonniers, qu’il les paist de douleurs ;
Quand j’oy tant de regrets, quand je voy tant de pleurs,
J’estime bien-heureux qui garde sa franchise.

O Dieu ! que de douceur de croire asseurément
Que l’unique beauté, qui nostre ame a ravie,
Aupres de notre amour n’estime rien sa vie !
Lors il n’est rien si doux que l’estat d’un amant.

Mais, si l’on trouve apres que c’est toute feintise,
Et que son cœur volage est ailleurs diverty,
Tout ce premier plaisir en rage est converty :
Il est donc bien-heureux qui garde sa franchise.

C’est pourtant un grand heur que d’aimer hautement,
Car un esprit divin tend aux choses hautaines,
Puis mille beaux pensers adoucissent les paines :
Il n’est donc rien si doux que l’estat d’un amant.

Ouy, mais le grand peril suit la grande entreprise,
Et qui monte bien haut peut bien bas tresbucher ;
Et puis en se brûlant il faut son feu cacher :
Il est donc bien-heureux qui garde sa franchise.

Celui qui tout ravi contemple incessament
La royne de son cœur, que le ciel a fait telle,
Qu’il y trouve tousjours quelque beauté nouvelle,
N’estimé rien plus doux que l’estat d’un amant.

Mais, quand il voit apres que la belle se prise,
Ou qu’elle est fantastique et se plaist à changer,
Il maudit la fureur qui le fait enrager,
Et nomme bien-heureux qui garde sa franchise.

Si est-ce un grand plaisir, après un long tourment,
D’adoucir à la fin la rigueur de sa dame,